Festival Que du feu 2024 encart

LES SORCIÈRES D'AKELARRE

Un film de Pablo Aguero

Dis-moi ce qui te fait peur, je le deviendrai

Dans le Pays Basque de 1609, alors que les marins locaux ont pris le large et ne reviendront que dans plusieurs semaines, six jeunes femmes sont arrêtées et se retrouvent accusées d’avoir participé à un sabbat diabolique. Très vite, elles se rendent bien compte que, quels que soient leurs témoignages ou leurs actions, elles seront considérées comme des sorcières et condamnées au bûcher. Du coup, autant le devenir pour de vrai, espérant ainsi rendre fous leurs accusateurs…

Les sorcières d'Akelarre film movie

A l’origine de cette histoire, il y a un fait divers bien réel survenu au Pays Basque au début du 17e siècle : le magistrat Pierre de Rosteguy de Lancre fut envoyé à cette époque dans une petite paroisse paisible du Labourd afin de participer à un épisode de chasse aux sorcières. Une mission destinée, selon les textes de l’époque, à purger le pays de toute forme de sorcellerie et d’éclairer les mœurs soi-disant libres des femmes de marins en leur absence. Quand bien même la légende aura fini par tordre la réalité (le nombre de femmes jugées et condamnées pour sorcellerie reste encore sujet à caution), le réalisateur Pablo Agüero – à qui l’on devait déjà le très intéressant "Eva ne dort pas" – l’embrasse de plein fouet en optant pour l’approche féministe, sous haute inspiration de l’essai La Sorcière de Jules Michelet.

L’idée est simple : un film de sorcière… sans sorcière. D’où ces six jeunes filles qui, brutalement mises aux fers et vite submergées de questions déjà orientées dans le sens des croyances fanatiques et absurdes de leurs accusateurs, décident de s’identifier pleinement à celles qu’on les accuse d’être. Leur objectif commun consistera à multiplier les « preuves » et les « détails » de leurs « pouvoirs », afin de terrifier et de rendre fous leurs bourreaux, avant le retour terrestre des marins.

Le film ne possède qu’un point faible, en l’état difficile à négliger : bâtir une narration académique et linéaire qui installe le récit sur des rails un peu trop prévisibles, allant d’un point A vers un point B sans véritable surprise, avec en plus des pistes narratives soulignées par des dialogues trop explicites (du genre « avons-nous rêvé ceci ? » ou « que représente cela ? »). Un regret qui se révèle largement compensé par tout le reste, Agüero n’y allant pas de main morte pour tancer le fanatisme de l’autorité inquisitrice et célébrer la rébellion féminine contre ce patriarcat abject.

En ramenant la figure de la sorcière et tout son folklore à l’état de vues de l’esprit, en autopsiant un pouvoir autoritaire dont la névrose n’engendre que des boucs émissaires à accuser d’hérésie, en se focalisant sur la solidité d’une sororité engagée dans une provocation quasi punk pour sa survie collective face à l’adversité, "Les sorcières d’Akelarre" se fait moderne, frontal et impitoyable dans son propos. Le casting, lui, joue moins des rôles qu’il incarne des états extrêmes, d’un côté comme de l’autre, avec un vrai potentiel pour déstabiliser l’audience – mention spéciale à la jeune et ensorcelante Amaia Aberasturi qui électrise chacune de ses scènes.

La mise en scène d’Agüero, majoritairement en grand angle quand elle ne tord pas la règle des 180° lors des échanges en face-à-face, est au service d’une joute verbale toujours plus puissante et trouble. Sans réussir à égaler le pandémonium final du "Suspiria" de Luca Guadagnino, Agüero orchestre un crescendo redoutable dans la provocation, mêlant récits fantaisistes, chansons prohibées, rites sexuels mimés et happenings hystériques (grande scène du sabbat final) à des fins de désorientation spatiale et mentale.

Les étapes du rite païen, la transformation en animal, l’apparence du Diable, la jouissance sexuelle dans un coin de verdure : tout ce qui relève du grotesque et de l’ubuesque est ici destiné à finir théâtralisé, décrit autant par la voix que par la pratique, et ne clarifie ainsi rien d’autre que la folie intrinsèque – laquelle ne cache pas une certaine excitation coupable – qui guette celui qui accuse, pris au piège de ses propres croyances. En tant que spectateur passif, on n’en ressort pas déboussolé pour autant (la faute, on le répète, à un académisme trop présent), mais au moins comblé par la virulence du propos féministe et la savante duplicité de sa mise en scène, au propre comme au figuré.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

BANDE ANNONCE

À LIRE ÉGALEMENT

Laisser un commentaire