INTERVIEW
MURINA
Antoneta Alamat Kusijanović et Gracija Filipović
Réalisatrice, actriceThéâtre Croisette, Cannes 2021. La réalisatrice croate Antoneta Alamat Kusijanović est là pour la projection de son premier long métrage dans la sélection de la Quinzaine des réalisateurs, alors qu’elle est manifestement en toute fin de grossesse – ce qui sera confirmé quelques jours plus tard : rentrée dans son pays pour accoucher, elle est absente lors de la cérémonie de clôture quand son film reçoit la prestigieuse Caméra d’or.
Rayonnante, visiblement heureuse de présenter son film, elle est accompagnée de son actrice principale, la jeune Gracija Filipović. Toutes deux parlent de "Murina" avec enthousiasme, répondant aux questions du public.
L’origine du scénario
Antoneta Alamat Kusijanović : « Je pense qu’au départ, j’ai fait ce film pour l’ado de 16 ans que j’ai été, et par extension, j’ai voulu le faire pour toutes les filles de cet âge-là et pour toutes les adolescentes de façon générale. »
L’importance symbolique de la mer et de la murène
Antoneta Alamat Kusijanović : « Je voulais que la mer soit le lieu de l’inconscient de Julija, un endroit où elle expérimente toute la palette de ses émotions, où elle retrouve aussi son pouvoir intérieur et sa liberté. La murène est un animal qui se mord lui-même pour se libérer, donc elle correspond à Julija dans le film car elle est prête à sacrifier sa propre famille pour avoir sa liberté. »
La collaboration entre la réalisatrice et l’actrice principale
Gracija Filipović : « J’ai rencontré Antoneta pour la première fois en 2015, je crois, quand j’ai participé au clip d’un groupe croate, puis nous avons fait un premier court métrage, "Into the Blue", qui a été le vrai début de notre collaboration. Elle avait créé les bases du personnage mais on a beaucoup échangé et on a construit ce personnage ensemble. "Murina" est presque une suite de "Into the Blue", mais le personnage est plus profond et tout y est plus intense. »
Le tournage des séquences sous-marines
Antoneta Alamat Kusijanović : « Dans n’importe quel film, tout ce qui est tourné sous l’eau nécessite des compromis. Pour ce film, il a vraiment fallu choisir les scènes essentielles, celle qui créaient un arc sous-marin, je dirais. Ce genre de scène demande une grosse installation à la fois sous l’eau et à la surface. Avec l’équipe technique, les acteurs et la sécurité, il y avait à peu près 15 personnes sous l’eau. Pour le tournage, j’étais au-dessus de l’eau et j’ai utilisé une enceinte spéciale utilisée en natation synchronisée pour donner mes instructions tout en regardant l’image sur des moniteurs. C’était un vrai défi, mais excitant. »
Gracija Filipović : « De mon côté, cela a demandé une grosse préparation à la fois physique et mentale. Bien sûr, j’ai dû apprendre à plonger avec des bouteilles d’oxygène et à pêcher avec des harpons. Mais j’ai fait de la natation pendant des années, donc ça m’a bien aidée. »
Antoneta Alamat Kusijanović : « Il a fallu que je lui demande de nager moins bien ! »
Gracija Filipović : « On pouvait faire des prises d’environ une minute en apnée. Ce qui était difficile, c’était de le faire plusieurs fois de suite. »
Les lieux de tournage et l’inclusion d’une vraie tragédie dans le scénario
Antoneta Alamat Kusijanović : « On a tourné sur trois îles différentes : Kalamata [NDLR : en Grèce], Hvar et Kornati [NDLR : en Croatie], où l’accident s’est produit il y a 15 ans. À cette époque, j’avais l’âge des pompiers qui sont morts [NDLR : douze pompiers avaient péri en 2007 en luttant contre un incendie] donc ça m’avait vraiment émue et j’avais envie de l’inclure dans mon premier film. »
La participation de Martin Scorsese à la production
Antoneta Alamat Kusijanović : « C’est l’un des producteurs [NDLR : via Sikelia Productions], mais il y a une très grande équipe derrière la production de ce projet. Martin Scorsese a été un mentor, je l’ai rencontré avant le tournage. Puis il a vu les premières versions du montage et il a dit qu’il aimait le film parce qu’il avait l’impression de connaître les personnages. »
Le personnage de l’ami étranger
Antoneta Alamat Kusijanović : « Il est à la fois un envahisseur et un catalyseur qui permet aux autres personnages d’affronter leurs démons, et qui pousse Julija à prendre des décisions. C’est aussi un personnage qui a besoin d’être conquis. »
Le personnage du père
Antoneta Alamat Kusijanović : « Les gens ont une vision très différente de ce personnage. Selon le pays où l’on pose la question, les réponses sont différentes. En Croatie, il est parfois vu comme une victime, d’autres fois il est considéré comme chauvin. Donc c’est le reflet de la personne qui pose la question ou qui voit le film. Personnellement, j’ai une très faible tolérance pour les chauvins et selon moi, c’est ce qu’il est. »
Les menaces de Julija envers son père [attention : spoiler]
Antoneta Alamat Kusijanović : « J’avais vraiment envie qu’elle le tue ! Gracija aussi en avait envie ! Mais le personnage non, car la rédemption ne peut pas venir d’une vengeance. »
Que devient Julija après la dernière scène ?
Antoneta Alamat Kusijanović : « Il y a encore un long voyage à faire, mais c’est enfin le sien, et c’était très important pour moi. Je voulais qu’à la fin, on ait le souvenir de la résilience que l’on a parfois en tant qu’adolescent ou jeune adulte, car avec le temps qui passe, on a parfois tendance à oublier ce que l’on a ressenti durant ces périodes-là. »
Raphaël Jullien Envoyer un message au rédacteur