MADAME CLAUDE
Allégorie du plafond de verre ?
Dans le Paris des années 1960 et 1970, Fernande Grudet, alias « Madame Claude », est à la tête d’un important réseau de prostituées « de luxe ». Son influence est telle que la police la laisse faire et vient même la solliciter dans le cadre de certaines affaires. Sidonie, quant à elle, est une mystérieuse fille de « bonne famille » qui vient proposer ses services à Madame Claude et devient rapidement la préférée et l’assistante de la patronne. Les deux femmes semblent toute puissantes…
Sortie le 2 avril 2021 sur Netflix
Madame Claude est une figure mythique, tant son histoire a suscité les fantasmes et tant les incertitudes demeurent sur la véracité de son parcours. En 1977, Just Jaeckin, réalisateur du célèbre "Emmanuelle", avait appliqué son style érotique et glamour pour proposer sa propre version de "Madame Claude" (avec Françoise Fabian dans le rôle-titre et Serge Gainsbourg comme compositeur). Il semble désormais inapproprié de proposer une vision idéalisée de la prostitution. Le "Madame Claude" de Sylvie Verheyde s’inscrit donc dans une démarche plus contemporaine, avec pour objectif d’interroger la place des femmes dans la société française. Outre la très belle reconstitution esthétique des années 60-70, c’est dans cette approche a priori plus féministe que réside l’un des principaux intérêts de ce film.
Si le récit se situe dans les années 70, il parle indirectement de notre présent. En attestent le choix d’une BO mélangeant chansons d’époque et musique originale contemporaine composée par Nousdeuxtheband (déjà aux manettes sur les précédents films de la réalisatrice ainsi que sur "Tu mérites un amour") et surtout certaines scènes et répliques qui sonnent comme un écho de notre période post-MeToo. Sylvie Verheyde ne verse pas dans la facilité, proposant des protagonistes féminins complexes qui naviguent en permanence entre volonté de faire céder le plafond de verre et résignation face au mur patriarcal qui les repousse régulièrement. Le personnage de Madame Claude (impeccablement interprété par Karole Rocher) est ainsi très ambigu dans son désir de « ne plus jamais subir », car cela la conduit finalement à accepter l’emprise masculine sur les corps et les libertés des femmes, au point, par exemple, de minimiser les brutalités dont sont victimes ses « filles ». Quant à Sidonie (personnage fictif joué avec brio par Garance Marillier, que l’on avait découverte dans "Grave"), elle incarne une nouvelle génération également combattive mais pleine de fêlures et de faiblesses, qui paraît reculer à chaque fois qu’elle espère avancer.
Malheureusement, la mise en scène n’est pas toujours au service d’une telle approche, et on se demande parfois si Sylvie Verheyde n’est pas, comme son héroïne, en train de reproduire un regard masculin malgré elle – le film n’échappe en effet pas tout à fait à l’érotisation des corps féminins et on peut s’interroger également sur l’absence de vieillissement de Sidonie quand, à la fin, elle apparaît vingt ans après le récit principal.
D’autre part, la réalisatrice noie son récit en partant un peu dans tous les sens. Le scénario tente en effet de mixer des enjeux purement dramatiques, centrés sur les personnages et sur la condition féminine (comme les conséquences d’un viol ou la difficulté à assumer son statut de mère), et des thématiques se tournant du côté du film policier ancré dans un contexte historique très précis (ça démarre en 1968 avec l’affaire Marković). Sur ce dernier point, "Madame Claude" s’avère trop souvent maladroit voire presque indéchiffrable, car les enjeux politiques, policiers et mafieux semblent initialement faire figure d’arrière-plan au point que l’on est surpris et un peu perdus quand ces sujets deviennent plus importants, nous donnant l’impression de devoir rattraper un train en marche ! Enfin, Sylvie Verheyde paraît quelquefois se perdre dans la multiplication de personnages secondaires qui sont, pour partie, trop vaguement présentés et/ou exploités. La confusion règne donc trop régulièrement et gâche un peu ce long métrage pourtant si intéressant.
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur