ADÚ
Émouvant et sincère mais bien trop maladroit
Une série d’évènements tragiques contraignent Adú et sa grande sœur Alika à fuir le Cameroun afin de rejoindre leur père en Europe. De leur côté, deux Espagnols se posent beaucoup de questions sur le sens de leur vie et de leur travail : Mateo, membre de la Guardia Civil chargée de surveiller la frontière hispano-marocaine dans l’enclave de Melilla, et Gonzalo, un défenseur des animaux au Cameroun…
Sortie le 30 juin 2020 sur Netflix
Pour qui a lu le roman "Eldorado" de Laurent Gaudé, "Adú" apparaît comme un potentiel équivalent cinématographique en proposant d’aborder la question de l’émigration clandestine à travers des points de vue a priori opposés : celui des migrants et celui des Européens qui les interceptent. Aussi sincères soient-ils dans leur projet, le réalisateur Salvador Calvo (un habitué des séries télé qui signe son second long métrage) et le scénariste Alejandro Hernández ("Habana Blues", "Amours cannibales", "El autor", "Lettre à Franco"…) s’emmêlent les pinceaux en voulant en faire trop ! "Adú" opte en effet pour une histoire croisée à trois regards avec des péripéties parfois rocambolesques et à la construction trop maladroite. D’autant qu’il plane souvent l’ombre d’un chef d’œuvre, "Babel" d’Alejandro González Iñárritu, y compris concernant la musique de Roque Baños, certes très belle, mais faisant parfois penser à la magnifique partition de Gustavo Santaolalla.
"Adú" s’ouvre sur des images saisissantes de migrants tentant d’escalader d’immenses barrières afin de pénétrer sur le territoire de Melilla, l’une des poussières de l’ancien protectorat espagnol au Maroc restées sous pavillon hispanique depuis la décolonisation, situation qui crée de facto une porte d’entrée de l’Union européenne dans le Nord de l’Afrique (le roman de Laurent Gaudé décrit ce même type de scène, mais à Ceuta). Cette introduction est forte et permet d’introduire un premier regard, celui de Mateo, un de ces gardiens de la forteresse européenne chargés de repousser les clandestins, qui va commencer à douter du bien-fondé de sa mission après un événement tragique (pour poursuivre la comparaison, il peut donc faire figure d’alter ego de Salvatore Piracci, l’un des héros du roman "Eldorado"). L’intention est bonne mais ce personnage est ensuite trop peu développé pour que son potentiel soit exploité à bon escient. Ce regard-là fait donc plutôt pschitt.
Dans la scène suivante, on fait connaissance coup sur coup avec les deux autres personnages principaux. D’abord, il s’agit d’un autre Espagnol, Gonzalo, qui traque les braconniers au Cameroun afin de sauver les éléphants. Puis c’est un gamin camerounais, Adú, qui est témoin de l’atroce massacre d’un de ces pachydermes.
Concernant Gonzalo, le récit se perd en conjectures, développant des thématiques annexes qui sont trop faiblement connectées aux enjeux principaux : la défense des animaux, la relation houleuse avec sa fille, les problèmes d’addiction aux drogues de cette dernière… Le fait même d’avoir un deuxième point de vue espagnol crée par ailleurs un déséquilibre : en voulant parler d’émigration, le film aurait gagné en substance s’il s’était satisfait d’une alternance entre Mateo et Adú, ne parvenant donc guère à convaincre sur la pertinence de perdre autant d’énergie à développer les personnages de Gonzalo et de sa fille – d’autant que les faibles connexions avec le parcours d’Adú sont décevantes et le choix de l’omniprésent vélo devient légèrement grotesque, alors que le public s’attend légitimement à ce que le croisement des différentes trajectoires finisse par avoir un sens ! Dommage car le caractère de Gonzalo (interprété par un Luis Tosar plutôt convainquant) était intéressant, notamment pour traiter la question de l’arrogance européenne vis-à-vis des Africains.
Il nous reste donc Adú, qui est heureusement le cœur du film auquel il donne son nom. Cette histoire-là pâtit quand même des maladresses majeures : d’une part la séquence d’intrusion des braconniers à leur domicile qui verse dans le cliché ridicule du film d’action avec une mère étrangement prête à en découdre ; d’autre part les dialogues français/anglais entre Adú et le jeune Massar qui sont souvent incohérents. Malgré tout, c’est bien au côté d’Adú que le public vit les scènes les plus maîtrisées et les plus puissantes.
Ce garçon-là a une présence touchante et magnétique qui peut rappeler le gamin du bouleversant "Capharnaüm" – bien que leurs caractères soient très différents, ils ont en commun ce destin poignant qui les contraint à se débrouiller face aux horreurs du monde. Constamment balloté par des évènements qui le dépassent, Adú survit comme il peut, subissant traumatisme sur traumatisme mais continuant d’avancer malgré tout. C’est donc les passages le mettant en scène qui confèrent au long métrage ses meilleurs atouts, que ce soit le voyage avec sa sœur à côté d’un train d’atterrissage ou sa rencontre avec Massar, le jeune migrant somalien qui devient son frère de substitution. Si l’on éprouve donc de très nombreuses déceptions, le visionnage vaut au moins le coup pour ce protagoniste et les émotions intenses que l’on ressent en suivant son bouleversant parcours.
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur