AFTER LOVE
Le poids du secret
Vivant au sud de l’Angleterre, à Douvres, Mary Hussain doit faire face au décès soudain de son mari, Ahmed. Peu après l’enterrement de celui-ci, elle découvre les papiers d’identité d’une autre femme, vivant en France, de l’autre côté de la Manche. Elle prend alors son courage à deux mains et embarque sur le ferry pour Calais…
Sélectionné à la Semaine de la critique de Cannes 2020, le très beau "After Love" aura finalement été découvert en fin d'année avec Les Arcs Film Festival du fait de la pandémie. Drame intimiste, celui-ci fait le portrait d'une anglaise, que l'on suppose convertie à l'Islam par amour, qui découvre un important secret que lui cachait son mari. Avec une savante utilisation des ellipses tout comme des silences, et une exploitation parcimonieuse de symboles, Aleem Khan, dont c'est le premier long métrage, érige la suggestion en maître mot, afin que la souffrance ne s’exprime pas trop intensément. Un unique plan suffit ainsi pour aborder la soudaineté du décès du mari : Mary dans la cuisine, au premier plan, discute avec Ahmed, situé au second plan dans le salon, sur fond de musique indienne ; leur discussion s'interrompt lorsque celui-ci ne répond étrangement plus. Le plan suivant la montre en blanc, entourée de femmes vêtues de noir. Le premier drame est posé.
Les falaises de craie, sur lesquelles Mary aime à prendre l'air, feront quant à elles office de symbole fort et récurrent, un pan entier s'effondrant lorsqu'elle découvrira les papiers cachés par son mari, qui l’entraîneront par la suite en France. Mais l'essentiel du sujet se trouve autour du secret et de ses conséquences, qu'il s'agisse de celui gardé par le mari jusqu'à sa mort, ou de celui dans lequel s'enfonce le personnage suite à son refus initial d'affronter la réalité en se présentant à la femme française (Nathalie Richard, parfaite comme toujours) comme « la femme d'Ahmed », préférant profiter d'un malentendu pour se faire embaucher comme femme de ménage et pénétrer un peu plus dans l'univers caché du défunt. Une situation qui fera d'elle-même, par ricochet, la récipiendaire de confessions impliquant un autre secret.
Tissant ainsi un imbroglio de liens inconnus des uns ou des autres, le très impactant scénario, signé d'Aleem Khan lui-même, construit une situation explosive, tout en traitant de l'oubli et de l'attachement à celui, disparu pour l'une, simplement absent pour l'autre, au travers d'apparents détails (un message téléphonique conservé, un plat traditionnel de son pays, une odeur persistante...). Par moment très sensoriel, "After Love" parle avec une indéniable finesse du sentiment amoureux et de ce qui unit les êtres. Une approche qui doit beaucoup à son interprète principale, d’une sobriété émouvante : Joanna Scanlan, actrice surtout vue jusque là dans des séries télé ("No Offense", "Hold the Sunset", "Getting On" incarnant ici avec justesse une certaine dignité égarée.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur