MOSQUITO STATE
Analyste financier au bord de la crise de nerfs
Richard Boca, analyste aussi doué que peu socialement intégré, exerce à Wall Street en août 2007, lorsque ses modèles prédictifs commencent à devenir moins fiables. Au même moment, dans son appartement, des moustiques se reproduisent, infestant peu à peu les lieux…
Découvert en séance de minuit au dernier Festival de Venise, "Mosquito State", film polonais tourné en anglais, offre une métaphore saisissante sur la crise financière de 2008, au travers de l’évolution psychologique d’un analyste, confronté à des anomalies dans son système, qu’il croyait pourtant infaillible. Le générique de début, en soi, est un modèle d’introduction de film d’horreur, commençant sur des croquis naturalistes mêlés à des gros plans documentaires, accompagnés de violons incarnant une sorte de bourdonnement, et montrant comme la genèse d’un monstre. Sont ainsi passés en revue les différents stades d’évolution du moustique, chacun donnant par la suite un chapitre (l’oeuf, la larve, la chrysalide, l’imago).
Le générique se termine, suivant le moustique dans des égouts, une rue, un immeuble, avant de pénétrer dans une grande salle où à lieu une réception, introduisant ainsi le personnage principal, dans toute sa maladresse et ses certitudes, alors qu’il ramène une femme chez lui (et le moustique aussi). Appartement moderne, cellier immense, vue imprenable sur Central Park, certitude d’être une « poule aux œufs d’or » pour certaines femmes, l’homme est certain de son intelligence et de ses goûts, mais s’avère socialement plutôt inadapté, et incapable de véritable contact intime. Affublé le lendemain de piqûres imposantes, il va tenter de donner l’alerte sur un possible effondrement du système, révélant au passage sa propre difficulté à supporter une concurrence professionnelle.
Estime de soi surdimensionnée, persuasion de maîtriser en permanence les choses, besoin d’ordre, le personnage interprété par Beau Knapp ("American Skin", "The Finest Hours") propose une plongée dans un esprit de génie plongeant progressivement dans la folie. Avec des effets visuels discrets, un énorme travail énorme sur le son, des décors estompant progressivement limites entre intimité et milieu professionnel, "Mosquito State" convoque à la fois les cinéma des deux David, Lynch comme Cronenberg, depuis un univers visuel proche du rêve éveillé, jusqu’aux allures d’ "Elephant Man" ou du monstre de "La Mouche" d’un personnage subissant de multiples piqûres. Suggérant une existence entièrement dédiée au travail et soumise à pression intense, le film flirte avec le fantastique, faisant froid dans le dos de par sa représentation monstrueuse et inquiétante de la perte de contrôle.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur