INTERVIEW
ÉTÉ 85
François Ozon, Benjamin Voisin et Félix Lefebvre
Réalisateur scénariste et acteursC’est dans une petite salle privée, en mezzanine des salons de l’hôtel Boscolo de Lyon, que nous reçoivent François Ozon, Benjamin Voisin et Félix Lefebvre, pour une interview en deux parties, des acteurs, puis du réalisateur.
Des influences ou inspirations des interprètes
Félix Lefebvre raconte que « le tournage a duré quatre mois, ce qui est un luxe ». Et qu’ils ont donc « pu beaucoup répéter ensemble » et donc également « eu le temps de bosser énormément ». Ils ont bien entendu vu des films comme "Un été 42", "My Own Private Idaho" et "Stand by me". Mais lui a lu "L’attrape cœur" comme un ouvrage en lien avec le texte d’intention du film.
Benjamin Voisin, de son côté, a vu "Le péril jeune" de Cédric Klapisch, et il avoue qu’il « se sent un peu comme le personnage de Romain Duris sur l’après ». Il a aussi vu "Le talentueux Monsieur Ripley", pour voir les rouages de l’emprise d’un homme sur un autre.
Quand on leur demande s’ils connaissaient aussi la filmo d’Ozon lui même, Benjamin précise que « François Ozon est entouré depuis 20 ans par les mêmes chefs de postes ». Il « ne connaissait l’homme que de renom et n’avait pas vu la plupart de ses films ». Lui-même, après le cours Florent et le Conservatoire, ne voulait pas faire de pièce de théâtre classique. C’est son agent qui l’a orienté vers le cinéma et « cela n’a pas pris tout de suite ». Plus que d’avoir vu tous ses films, il est pour lui cependant indispensable « de connaître l’auteur et de voir comment il a travaillé ». Et avec le recul, il trouve qu’il y a une connivence entre le rôle de Ludivine saigner dans "Swimming Pool" et le sien dans "Été 85".
Au contraire, Félix Lefebvre a regardé une partie de la filmographie de François Ozon. Il connaissait déjà "Jeune et Jolie" et "8 Femmes", mais ne savait pas que c’était de lui. Et il avoue même « avoir jeté un coup d’œil sur Wikipédia et avoir alors réalisé sa chance de travailler avec quelqu’un d’aussi abordable ».
Trouver leurs personnages entre proximité physique et expression de l’amour
Félix Lefebvre indique qu’ils ont eu beaucoup de discussions avec François à ce sujet. Celui-ci l’a « accompagné, ce qui lui a permis de se sentir serein sur le tournage, y compris pour la scène de la danse », même s’il a fallu pour celle-ci, un travail avec un chorégraphe.
Pour Benjamin Voisin, « il ne s’agit pas d’une histoire de triangle amoureux ». « Ce n’est pas un trio, ce sont deux duos ». Félix rajoute sur ce point que lorsque le personnage féminin lui dit « je suis pas le seul que David regarde », elle oblige le sien à « aller dans la réalité ». Il y a une idée de résilience dans le personnage d’Alexis. L’idée lui plaisait qu’il s’agisse « d’une naissance d’une vocation » pour son personnage, « comme une manière de transformer un drame en autre chose ».
Réaliser comme manière d’exaucer lui aussi un pacte
Quand il a lu le livre d’Aidan Chambers, La Danse du coucou, François Ozon était lycéen. Il s’est tout de suite dit qu’il adorait « raconter cette histoire ou plutôt d’en être le spectateur ». Mais il « se sentait trop proche des personnages, et il pensait que des réalisateurs américains allaient s’ en emparer ». En réalité trois réalisateurs aurons tenté, dans différents pays. Après "Grâce à Dieu", il souhaitait en tous cas « passer à quelque chose de plus léger ». Il a choisi de revenir à ce livre, mais il avoue que dans le fond il avait « occulté beaucoup d’aspects de cette histoire ».
De l’aspect nostalgique du film
Interrogé sur l’aspect nostalgique du film, il trouve que l’ « on voit ça aussi avec les yeux du Covid », même si « quelque part le temps adoucit le regard ». La Danse du coucou, adapté en "Été 85", ce n’est pas son histoire. Elle parle aussi pour lui « du pouvoir de la fiction, du fait qu’on peut être idéaliste à certains moments de sa vie ».
« Dans le livre on sait dès le début ce que le personnage d’Alex a fait, ceci au travers de coupures de presse sur son arrestation ». « Mais il y a aussi un côté puzzle » qu’il a voulu garder dans le film. Il admet d’ailleurs qu’à l’époque, il en aurait fait un film beaucoup plus linéaire.
Pour créer une atmosphère des années 80, il lui fallait tourner en pellicule, car c’est « quelque chose qui nous ramène dans le passé, qui apporte un grain, du flou ». Il a choisi le Super 16, avec un travail de l’image différent qui donne des textures de peau très sensuelles.
Pour la musique, il « a fait appel à l’un des membres du groupe Air, aujourd’hui séparé », Jean-Benoît Dunckel, « qui est fortement influencé par les années 80 ». Il a également redécouvert la chanson Star de la pub, qui passe dans la boîte de nuit. « Félix en a même trouvé une version en russe ». Sailing de Rod Stuart « est très marquée années 70, c’est plus la musique qui fait référence au père de David, comme un fantôme ».
Au début il était sur "Été 84", qui correspondait à ses 16 ans, et qui lui semble « plus sexy et plus rond », mais il souhaitait utiliser la chanson In Between Days de The Cure. Une fois pris contact avec le groupe, celle-ci étant sortie en 1985, « ils ont accepté à condition d’un changement de titre ». D’où "Été 85".
L’homosexualité et les genres qui se télescopent
Les deux acteurs admettent qu’il « y a en effet plein de changements de ton dans le film ». Mais c’est aussi ce que « vous aimez dans son cinéma ». En fait cela correspondait ici aussi au regard d’Alex, évoluant avec le temps.
Le livre avait justement plu à François Ozon, car « l’homosexualité n’y est pas problématisée » « Il y a quelque chose de très naturel autour de cela » et il a voulu le garder. Le changement dans la représentation de l’homosexualité est lié au malheur et à la transgression. A l’époque, il avait déjà réalisé "Une robe d’été", qui parlait de l’éveil à la sexualité. Ici selon lui « c’est différent, il s’agit de l’éveil à l’amour, avec deux représentations de vision très différentes ».
Concernant le choix des interprètes et des lieux de tournage
Concernant le choix de Cathy, « dans le bouquin, elle était norvégienne ». Le livre à l’origine est en anglais, et cette fille c’était un fantasme, elle est plutôt dégourdie. Et comme à l’époque il y avait aussi « un intérêt pour l’Angleterre, pour ses musiques, pour la notion de week-end... » cela a mené au « choix de cette actrice, Philippine Velge, qui est en faite americano-belgo-anglaise ».
Pour les deux mères, il avoue avoir pensé à Isabelle Nanty tout de suite. Il « savait aussi que Valeria Bruni Tedeschi pouvait être à la fois drôle et tragique. Elle était donc parfaite pour jouer l’ambiguïté presque incestueuse de la seconde mère ». Le rapport des deux acteurs à ce personnage à part était alors à construire.
Félix, lui, « avait besoin d’être nourri. Il s’est donc replonger dans les archives de sa propre mère ». Benjamin, quant à lui, « avait besoin de comprendre les intentions du personnage ». En réaction, il « lui fallait se créer un physique, faire du sport, développer un peu sa musculature ».
Quant à Melvil Poupaud, « c’est un clin d’œil », avec un nouveau prof un peu douteux ici à l’inverse de "Grâce à Dieu". Ils ont fait un certain nombre de prises avec lui, mais ont « gardé les versions les plus douces de ses prestations » (rires).
François Ozon évoque pour terminer le choix des lieux de tournage. Il recherchait au départ « en France, un équivalent du Sud-est de la Grande-Bretagne ». Ils ont regardé au début du côté de la Bretagne, « mais la côte était trop construite ». Puis on lui a parlé de la Normandie du Nord, où fut tourné le film.
Olivier Bachelard Envoyer un message au rédacteur