IL MIO CORPO
Il mio corpo, à mon corps et à mon défendant
En Italie, d’un côté il y a Oscar, un jeune garçon méprisé par son père. Il l’aide à récupérer, voire voler de la ferraille pour gagner quelques pauvres sous. De l’autre il y a Stanley, un émigré nigérian qui tente de se faire une place dans cette Italie pour laquelle il a traversé la mer. Deux destins qui se rencontrent au cœur de la solitude et du rejet…
"Il mio Corpo" est un petit film qui a l’audace de s’attaquer, frontalement, au sujet de la pauvreté contemporaine et des formes d’isolement qu’elle crée au sein de communautés.
D’un côté, il y a Oscar, un jeune garçon avec une crête de cheveux frisés. Dès l’introduction, son père violent s’impose au spectateur. Dans cet espace désertique, à la frontière du monde, les insultes pleuvent, jetées du haut d’un pont par cet homme feignant, qui exploite ses enfants dans un terrain dangereux, un éboulis au milieu duquel pendent des carcasses de voitures. Après avoir gagné le droit de remonter par leur travail, sans aucune raison, il en félicite un et méprise l’autre. C’est Oscar, le plus jeune des fils, qui est la tête de turc de ce redneck italien, tout juste bon à boire, à fumer, à se plaindre et à mettre les siens plus bas que terre.
De l’autre, il y a Stanley, cet émigré qui a obtenu des papiers, qui travaille, qui gagne assez d’argent pour avoir de quoi faire un plat traditionnel de chez lui, et inviter un ami. Stanley qui, pourtant, pourrait continuer sa route et commencer une nouvelle vie, mais ne parvient pas à partir et à se dépêtrer de cette étiquette d’immigré clandestin. Une étiquette qui lui colle tant à la peau qu’elle fait désormais partie de son identité.
Chacun a sa propre palette de couleurs et son environnement. Il fait jour et le soleil est haut sur la campagne, la route et les grands espaces du monde d’Oscar. Stanley, quant à lui, évolue dans une ville humide, aux teintes grises et monotones. Le film met d’abord en parallèle ces deux destins, ce qui force le spectateur à se questionner sur les raisons de cette juxtaposition. Et progressivement, alors que l’isolement se fait, ces destins viennent à se croiser, à se regarder, pour peut-être trouver le peu d’humanité qu’il reste dans le cœur des hommes, dans cette époque où l’autre est sans cesse la menace et l’entraide est un signe de faiblesse.
Enfin, ce qui est le plus déstabilisant, et qu’il est essentiel de noter, est que "Il Mio Corpo" s’inscrit dans la même tradition que le film "Honeyland". Bien que les sujets soient très différents, ces deux documentaires traitent de leur sujet sur le même mode : ils construisent des histoires autour de destins singuliers. Ce n’est pas dérangeant en soi, un documentaire raconte toujours une histoire, mais ici, la plupart des scènes, au lieu d’être captées, semblent mises en scène, écrites et rejouées pour la caméra.
Ne se présentant pas comme des documenteurs, ces projets dansent avec la réalité une valse dangereuse, qui pointe vers l’instrumentalisation. La réalité dépasse la fiction, et la fiction ne fait que recomposer avec le réel, mais quand il s’agit de filmer ce dernier, le parer des atours de la fiction peut être problématique.
Thomas ChapelleEnvoyer un message au rédacteur