ADN
Pour : Forcément personnel, et réellement bouleversant
Avant la maladie d’Alzheimer et d’entrer en maison de retraite, Émir a tout raconté de sa vie à une journaliste, y compris son Algérie d’origine. Neige, sa petite fille, divorcée et mère de trois enfants, en a fait un livre, destiné à sa famille, qu’elle lui a offert comme aux autres. Avec le décès soudain de celui-ci, les tensions avec les autres membres de sa famille, nombreuses, vont resurgir…
Maïwenn ("Polisse", "Mon Roi") a toujours eu le don de mêler introspection et fiction. Déjà dans "Le Bal des actrices", elle donnait à voir les multiples facettes des femmes qui se cachent ou se subliment derrière ou au-delà des rôles. Dans son très beau "ADN", elle questionne à la fois le rapport silencieux aux racines et ce qui fait la famille. Jalonné de moments de tensions parfaitement rendus, à la fois par une caméra agile et proche des corps, et des interprètes au diapason, qu’il s’agisse de Fanny Ardant en mère impulsive ou de Marine Vacth ("Jeune et Jolie") en sœur incomprise, le film se centre sur le personnage de Neige, interprété par Maïwenn elle-même, divisée entre besoin de rendre hommage au disparu et interrogation sur ses propres origines.
Comme une recherche désespérée d’un lien qui persisterait, "ADN" se construit entre les étapes qui succèdent un décès et les tâtonnements qui conduisent à connaître un pays, une culture, qu’on a seulement connus par intermédiaires. Aux côtés du personnage, totalement investi par Maïwenn dans ses moindres fêlures, Louis Garrel fait des merveilles en ami fidèle, plaisantin parfois borderline, mais toujours bienveillant. Lumineux et bouleversant, ce portrait d’une femme à la recherche d’un nouveau port d’attache, interroge aussi intelligemment sur les rapports entre religion et tradition, l’image que l’on peut avoir de l’autre, et le besoin de connaître ses origines. Bruyante et bouillonnante, la peinture d’un entourage qui fait famille est des plus réussies, et Maïwenn entre larmes et sourire immense, emporte un bout de nos cœurs avec elle.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteurOn s’était bien gardé de mettre en suspens le cas Maïwenn suite à la découverte de "Mon Roi" en pleine cuvée cannoise de 2015. Retour en arrière. Depuis que l’ex-femme de Luc Besson avait entamé sa thérapie filmique par un règlement de comptes familial d’une violence inouïe ("Pardonnez-moi"), sa propension à aborder un sujet « autre » pour finalement tout réduire à sa propre personne avait suffi à nous irriter grandement. Mettre les actrices françaises à nu ? Capturer le quotidien brut d’une brigade de protection des mineurs ? Pensez donc ! Juste un pis-aller pour prolonger la thérapie et se poser en épicentre d’un cadre mort-né, sans aptitude à structurer un découpage de cinéma ni aucune velléité de mise en scène. Et "Mon Roi" avait soudain laissé croire à un (petit) miracle, laissant la belle dans le hors-champ de la caméra – elle ne jouait pas – pour traiter convenablement une histoire d’addiction amoureuse, là encore inspirée de sa propre vie. Le film suivant, qui aura mis bien du temps à arriver, allait donc être décisif. Verdict : la miss reprend soudain le pouvoir du cadre (beaucoup dedans, très peu derrière) et persiste à exclure la mise en scène de son ADN. En gros, fidèle à son narcissisme et à son rejet des conventions cinématographiques, elle tire la couverture à elle. Et ce n’est plus tolérable.
Point de cinéma, là-dedans, sauf si l’on considère qu’un amas d’enjeux hystéro-lacrymo-familiaux pour téléfilm du mercredi soir sur France 2 peut remplacer un découpage de cinéma. Ici, ça chiale, ça hurle, ça déconne, ça s’agite, toujours pour rien, et surtout jamais avec cet art commun de chaos verbal structuré et d’épuisement de la durée dont ont pu faire preuve des cinéastes infiniment plus doués (Kechiche pour ne citer que l’exemple le plus évident). Tout juste pourra-t-on signaler ici une scène de cauchemar où tout le monde dîne à tables avec des pythons autour du cou, mais c’est si ridicule qu’on est au bord du facepalm. Point de cinéma-vérité, sinon ? Ah si, carrément. Mais là encore, il n’y en a que pour Maïwenn. Il y avait certes un sujet intéressant dans "ADN", à savoir la redécouverte de ses racines familiales et de son propre rapport au groupe. Or, il est au pire non traité, au mieux survolé par des banalités psychanalytiques et communautaires. En plus de cela, la première scène du film isole tout ce qui cloche : on se dit qu’une réunion de famille dans un hôpital autour du patriarche vieillissant devrait mettre en avant ce dernier avec les autres membres de la famille en tant que satellites, mais une simple astuce vestimentaire de la miss – fringuée et maquillée à mi-chemin entre Amy Winehouse et une cagole niçoise – suffit à aiguiller le moindre regard dans sa direction et à laisser son point de vue à elle déterminer les enjeux. En gros, c’est elle au centre, et les autres éparpillés tout autour.
Il en va de même quand il s’agit de s’entourer de seconds couteaux surdoués à qui on ne laisse que des miettes. En effet, Louis Garrel (point fort du casting) et Fanny Ardant (en roue libre) n’ont ici que trois scènes minables à se mettre sous la dent, quand ce n’est pas Marine Vacth qui traverse le film en touriste à force de n’avoir rien à défendre. La seule chose que l’on perçoit très clairement, dans ce téléfilm mal déguisé, a là encore à voir avec le passé familial douloureux de l’actrice-réalisatrice, comme le prouve cette mise au point verbale entre elle et Fanny Ardant en plein cœur du film, avec l’une qui pleurniche (décidément…) et l’autre qui surjoue la matriarche castratrice (on devine que Maïwenn en a fait un double de sa propre mère). À ce stade, c’est presque un miracle si l’impeccable Louis Garrel réussit à nous arracher quelques sourires par un jeu tout en sobriété et en décontraction. Enfin, histoire de clôturer le dossier Maïwenn, on va juste rappeler un fait : il n’y a rien de mal dans le fait de se raconter soi-même (des tas d’artistes le font), mais il y a tout de gênant dans le fait de prendre en soi ce qui peut parler non pas à autrui mais à soi-même. Quant à savoir si la salle de cinéma doit se transformer en cabinet de psy, on avouera que c’est tout de suite moins sympa quand on nous contraint à débourser onze euros avant la séance au lieu d’en recevoir soixante à la fin.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur