SI LE VENT TOMBE
Envie d’envol
Alain est chargé d’expertiser l’aéroport d’une petite république autoproclamée du Caucase. Mais celui-ci est situé aux abords d’une zone de cessez-le-feu, ce qui fait de sa réouverture un sujet délicat. De plus, alors qu’il se livre à un commerce d’eau potable autour de l’aéroport, un petit garçon du coin déclenche soudain un feu dans les environs…
Dès les premiers plans, on est accroché. Regard instable sur un paysage montagneux qui défile en pleine nuit. Images étranges qui se juxtaposent dans un montage sensoriel, sur fond d’une musique évoquant les nappes atmosphériques des Tindersticks. On se dit tout de suite que Nora Martirosyan pourrait être une émule de Claire Denis, et pas seulement parce qu’elle a engagé l’un de ses acteurs fétiches – Grégoire Colin – en tête d’affiche. Celui-ci fait d’ailleurs ici figure de tête chercheuse, d’un élément extérieur lâché dans un contexte culturel aux antipodes du sien. Un décor plus qu’un milieu, délimité par les contours de la fiction (le pays n’est ni nommé ni clairement cité) et circonscrit à une poignée de lieux-clés, au centre desquels se trouve ce minuscule aéroport où certains travaillent alors qu’aucun avion ne décolle. Œuvre topographique au premier abord, "Si le vent tombe" prend donc acte de l’état d’un territoire désireux d’être reconnu comme tel et de croire dur comme fer à cette ouverture sur l’extérieur (quelle meilleure métaphore que l’avion ?). La réalisatrice se concentre donc avant tout sur des paysages, amples et fascinants, qui suffisent en tant que tels à structurer un récit et à délimiter des enjeux. Mais elle ne s’en contente pas, loin de là…
Si l’image dessine un territoire et ne cesse d’en questionner les lois comme les frontières, les émotions qui s’y installent ici et là en font au final un réseau humaniste, où les relations humaines et fraternelles font vite tomber tous les préjugés. Lorsque la réalisatrice pose son regard bienveillant sur le décor de l’aéroport, tout devient fascinant, à commencer par ceux qui révèlent leur humanité au-delà de leur fonction apparente : journaliste, aiguilleur, ex-soldat, chauffeur de taxi, directeur d’aéroport, ingénieur, femme de ménage… Lorsqu’elle pose au contraire sa caméra dans le décor rugueux des montagnes caucasiennes, et plus particulièrement en s’intéressant au quotidien d’un vieux paysan et d’un garçon distributeur d’eau (une eau miraculeuse ?), elle s’égare un peu en laissant l’allégorie fondre au profit de la captation basique et attendue d’une terre isolée. Dommage aussi que la guerre et les armes, pourtant omniprésents dans les échanges, soient ici relégués dans le hors-champ : il s’agit bien sûr d’un parti pris (en gros, la guerre est proche, mais elle n’a ni nom ni visage), mais cette absence à l’image rend le film un peu trop abstrait et n’aide pas à amplifier la tension. Seule l’image d’un feu menaçant injecte un peu de stress dans les enjeux, hélas sur à peine cinq minutes. Nora Martirosyan sortira pourtant gagnante de cette inégalité de ton par le biais d’un superbe plan final symbolique, aussi porteur d’espoir que de foi. Un plan qui emporte le film. Littéralement.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur