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LA PLATEFORME

Une sombre fable héritière de "Cube"

Goreng se réveille dans une prison verticale où les cellules (avec deux personnes chacune) se surplombent et son reliées par une « fosse » à la profondeur insondable. Par ce trou, une plateforme descend avec de la nourriture et s’arrête un instant à chaque étage. Mais les occupants des niveaux supérieurs ne laissent guère de vivres aux suivants…

Sortie le 20 mars 2020 sur Netflix

Passé par plusieurs festivals et récompensé notamment à Sitges et Toronto, sorti en salles en Espagne (où il a aussi reçu le prix Goya des meilleurs effets spéciaux, bien que ce ne soit pas forcément le principal atout du film), "La Plateforme" est, en France comme dans la plupart des autres pays, directement proposé sur la plateforme (logique !) Netflix.

Si l’offre de science-fiction est déjà pléthorique sur Netflix, y compris dans le sous-genre dystopique, la qualité est très variable et "La Plateforme" se situe parmi ce qu’il y a de meilleur. Lointain descendant espagnol du cultissime "Cube" (Vincenzo Natali n’aurait sans doute pas renié un tel scénario cruel et claustrophobique), "La Plateforme" est un premier long métrage plus que prometteur pour son réalisateur Galder Gaztelu-Urrutia, passé auparavant par la publicité et le court métrage.

Comme dans "Cube", le public se réveille avec un personnage dans un huis clos immédiatement inquiétant, puis les questions de la confiance et de la possible entraide entre les protagonistes se posent rapidement. La « fosse » ou le « trou » (traduction littérale du titre original) instaure instantanément un vertige effrayant, d’autant que sa profondeur est un mystère et que les hypothèses émises par les personnages sont régulièrement mises à jour !

Si le principe du film est déjà intrigant et haletant par lui-même, "La Plateforme" s’avère bien plus qu’un simple instrument d’angoisse, interrogeant les faces sombres de l’être humain quand la survie de chaque individu est en jeu. Sur Netflix, "Circle" avait déjà des propos pertinents à ce sujet mais péchait par sa qualité de mise en scène, ce qui n’est pas le cas pour ce film dont la puissance est bien supérieure.

"La Plateforme" est ainsi une cruelle métaphore des inégalités : les occupants de chaque niveau étant déplacés chaque mois, ils sont tous conscients des difficultés de survie dès que l’on s’éloigne trop du niveau 0 (d’où part la plateforme). Or, à travers les comportements égoïstes de chaque protagoniste, le film nous pose clairement une question : comment pouvons-nous décemment nous goinfrer quand nous sommes privilégiés (ou relativement privilégiés par rapport à d’autres) et quand nous savons manifestement que d’autres crèvent de faim par notre faute car nous préférons jouir de notre luxe et notre confort au lieu d’être solidaires ? Sous ses atours de thriller de science-fiction, "La Plateforme" est donc bel et bien une sombre fable politique, parfois explicitement comme lorsque Trimagasi accuse Goreng d’être communiste quand il suggère que chaque personne se rationne pour le bien de toutes et tous.

Le scénario est encore plus déstabilisant quand on comprend que les personnages ont, au moins pour partie, consenti à être internés dans ce lieu (peut-être pour éviter une autre peine ?), que certains sont même volontaires (sans qu’on n’en connaisse explicitement les raisons) et que, dans tous les cas, la société extérieure semble tout à fait au courant des conditions de vie dans cette tour carcérale (sur ce point particulier, on est donc loin de "Cube"). Ces détails insistent indirectement sur la cruauté de notre propre monde : nous acceptons les inégalités sociales dans un pays ou les inégalités de développement d’un pays à un autre, et nous plongeons dans ce système au lieu d’agir pour équilibrer l’ensemble.

Une autre idée du film s’avère appropriée : chaque détenu a le droit de conserver quelque chose durant son « séjour » dans la fosse. Le choix de chaque personnage cristallise ainsi son état d’esprit et son rapport au monde. Si beaucoup choisissent un couteau ou une arme (car il ne semble y avoir aucune limite dans cette liberté !), d’autres optent pour des objets révélateurs : Goreng l’idéaliste a conservé un exemplaire de "Don Quichotte", Baharat a préféré une corde qui symbolise son espoir de s’en sortir, Imoguiri est venue avec son chien pour matérialiser un peu plus son rachat sacrificiel…

Si la fin peut s’avérer, comme pour "Cube", frustrante pour celles et ceux qui abhorrent les fins ouvertes, "La Plateforme" conserve une efficacité constante, avec une tension palpable qu’appuie aussi la musique d’Aránzazu Calleja ("Psiconautas"…). Et au fur et à mesure que le film sonde la profondeur de la fosse, les spectateurs méditent sur la profondeur de l’âme humaine.

Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur

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