Festival Que du feu 2024 encart

TEAM USA : SCANDALE DANS LE MONDE DE LA GYMNASTIQUE

Un film de Bonni Cohen, Jon Shenk

Les effroyables coulisses de la gymnastique américaine

En 2014, un article publié par l’ « Indianapolis Star » révèle que la fédération américaine de gymnastique (USAG, dont le siège se situe à Indianapolis) a étouffé pas moins de 54 plaintes d’abus sexuels contre des entraîneurs. Une ancienne gymnaste contacte alors les journalistes pour accuser aussi Larry Nassar, l’un des médecins de l’équipe nationale. Puis les témoignages contre Nassar s’enchaînent à une vitesse vertigineuse et le coup de tonnerre est immense…

Sortie le 24 juin 2020 sur Netflix

Réalisé par le même duo que "Une suite qui dérange" et "Audrie et Daisy", ce documentaire revient sur une effroyable affaire qui secoue la gymnastique américaine depuis quelques années. Il faut dire que l’ampleur de la crise est immense. Au cœur du scandale, figure Larry Nassar, ancien médecin des équipes américaines de gymnastique féminine (et de l’université d’État du Michigan, également touchée par les secousses de l’affaire). Entre 1996 et 2014, Nassar est l’auteur d’abus sexuels répétés sur des centaines de gymnastes mineures, dont une grande partie des championnes ayant fait la gloire de la gym américaine lors des trois dernières décennies, comme Simone Biles, McKayla Maroney, Aly Raisman, Gabby Douglas, Jordyn Wieber ou encore Maggie Nichols. Au total, plus de 500 gymnastes se sont déclarées victimes de ce pédocriminel et 125 d’entre elles ont témoigné contre lui lors de son procès.

Si ces faits et ces chiffres sont déjà effrayants, "Team USA" va bien au-delà car c’est aussi, plus largement, un véritable réquisitoire contre un système qui broie les gymnastes par tous les moyens, aveuglé par l’appât des médailles et de l’argent. Les qualités de ce film résident donc dans sa capacité à dépasser l’affaire de pédophilie tout en lui accordant évidemment une place centrale. En oscillant habilement entre les images d’archives et les témoignages variés (gymnastes, journalistes, avocats…), Bonni Cohen et Jon Shenk font cohabiter l’affaire judiciaire avec le processus d’enquête journalistique, avec le vécu et le perçu de certaines victimes, avec l’atmosphère générale de la fédération américaine et de son équipe olympique, et même avec l’évolution de la gymnastique depuis la fin des années 60.

Cohen et Shenk démontrent notamment, dans l’une des meilleures séquences, une affolante chaîne de responsabilités qu’ils font remonter au triomphe sportif et médiatique de la Roumaine Nadia Comaneci aux JO de Montréal en 1976. Dans leur démonstration d’une implacable pertinence, le duo attribue ainsi au régime de Ceausescu et au couple Károlyi (alors entraîneurs de l’équipe féminine roumaine) la paternité d’une transformation majeure de la gymnastique féminine. Considérablement rajeunie avec cette génération de gymnastes roumaines (et plus largement du Bloc de l’Est), cette discipline est ainsi devenue le cadre de dérives multiples qui consistent à détecter de très jeunes filles puis à les entraîner avec une véritable violence physique et psychologique pour une réussite coûte que coûte. Selon les auteurs de "Team USA", un tel système de pression et de manipulation ne pouvait que favoriser l’emprise des adultes sur des filles et adolescentes qui deviennent ainsi des proies faciles pour les éventuels prédateurs présents dans l’encadrement sportif ou médical, dans un cadre de proximité physique permanent qui leur permet de justifier des gestes avec des prétextes soi-disant professionnels, manipulant à la fois les corps et la confiance.

Le documentaire montre ainsi comment le contexte historico-sportif a progressivement favorisé la création d’atmosphères oppressantes dont les abus sexuels ne sont que l’abominable et ultime aboutissement. Le long métrage s’attache alors à nous faire comprendre les mécanismes qui ont conduit à nier ou étouffer les faits. Il devient donc un film à charge contre la fédération américaine (USAG) et toutes les personnes qui sont restées passives voire complices.

En-dehors de Larry Nassar, il y a surtout, dans le viseur des réalisateurs et des différents protagonistes du film, un certain Steve Penny. Spécialiste du marketing devenu président de l’USAG de 2005 à sa démission en 2017, il a délibérément ignoré les plaintes et il est même soupçonné d’avoir tout fait pour nuire à Maggie Nichols : elle a été la première à signaler les abus du médecin à la fédération et elle a ensuite été curieusement écartée de l’équipe olympique malgré son niveau (c’est à elle que fait référence le titre original du film : le terme « Athlete A » a initialement été utilisé pour la désigner lorsque son identité était encore secrète). Penny est désormais accusé par la justice d’avoir détruit des documents pour freiner l’enquête contre Nassar. Autres cibles majeures du documentaire : Béla et Martha Károlyi. Passés à l’Ouest en 1981, ils sont ensuite devenus les entraîneurs de l’équipe américaine, et ils ont reproduit leurs méthodes de pression, d’humiliation et de soumission avec l’aval de la fédération – et avec un mélange malsain de secrets et de non-dits : leur ranch, où ils entraînaient et où Nassar a commis une partie de ses crimes, était interdit d’accès aux parents des gymnastes !

Malgré ce monstrueux récit, "Team USA" parvient presque miraculeusement à être partiellement lumineux. Il met notamment en valeur la façon dont certaines victimes (ou « survivantes », pour reprendre ce terme couramment utilisé pour les désigner) ont su faire front, individuellement et collectivement, pour se reconstruire et combattre. La séquence sur les déclarations de ces gymnastes en présence de Larry Nassar, sans doute l’une des plus fortes du film, est à la fois bouleversante et revigorante car on ressent la force que cela leur demande et leur confère en même temps – on sent notamment la délivrance dans les mots remarquables de Jamie Dantzscher et de Rachael Denhollander. D’autre part, si la fédération américaine ou l’évolution de la gymnastique sont pointées du doigt, ce sport n’est pas dénigré pour autant – car il n’y est intrinsèquement pour rien – et plusieurs protagonistes du film parviennent, malgré la douleur et le contexte, à valoriser cette discipline, notamment Maggie Nichols qui retrouve même un véritable épanouissement dans les compétitions universitaires où elle brille désormais. Enfin, ce film est un hommage au journalisme d’investigation, qui a su jouer le rôle exemplaire que la presse se doit d’avoir pour aider à corriger les dysfonctionnements de la société, mais aussi à celles et ceux, parmi les professionnels de la justice et de la police, qui prennent leurs missions au sérieux. Dans une société post-MeToo, cette affaire comme ce documentaire sont nécessaires. Et doivent servir de thérapie de choc pour des jours meilleurs.

Critique réalisée en partenariat avec le site Gym And News.

Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur

BANDE ANNONCE

À LIRE ÉGALEMENT

Laisser un commentaire