DOSSIERIl était une fois
IL ÉTAIT UNE FOIS… Le Jardin des Finzi-Contini, de Vittorio De Sica
Sorti en 1970 en Italie et en 1971 en France, "Le Jardin des Finzi-Contini" de Vittorio De Sica a fait l’objet d’une restauration en 4K. Les Films du Camélia et Ad Vitam Distribution en proposent donc une ressortie en salles le 22 juillet 2020. L’occasion de revenir sur ce long métrage couronné de l’Ours d’or à Berlin en 1971 et de l’Oscar du meilleur film étranger en 1972. À découvrir ou redécouvrir.
Synopsis : Ferrare 1938 – 1943. Le jardin de la famille des Finzi-Contini accueille des jeunes bourgeois pour des parties de tennis durant l’été. Le temps est aux amourettes et à l’insouciance, mais au dehors le régime fasciste s’impose et menace la sécurité des familles juives de la ville.
Souviens-toi l’été dernier
Après avoir contribué à façonner l’identité du néoréalisme italien après-guerre avec "Le Voleur de bicyclette" (1948), "Sciuscià" (1946) ou "Umberto D." (1952) puis marqué la comédie à l’italienne de façon décisive avec "Il boom" (1963), De Sica continue à s’imposer comme un géant du 7ème art à l’orée des années 70, soit la dernière partie de l’âge d’or du cinéma italien.
Pour "Le Jardin des Finzi-Contini", il prend appui sur le livre homonyme de Giorgio Bassani, publié en 1962, pour raconter l’Italie fasciste des années 30. Il s’agit d’un exemple typique de traitement de la grande Histoire par la petite histoire. Cette « petite histoire » étant celle d’un jeune étudiant de Ferrare, Giorgio (incarné par Lino Capolicchio), qui échoue à conquérir son amour d’enfance, Micòl (Dominique Sanda). Lui appartient à une famille bourgeoise, elle à une famille aristocratique, celle des Finzi-Contini. Un conflit de classe latent les oppose, mais leur appartenance communautaire les rassemble : les deux familles sont en effet juives. Malgré leur affection profonde, ou peut-être à cause d’elle, Micòl refusera d’entamer une liaison. « Mais n’en parlons plus, comme le dit Giorgio au bout d’une heure de métrage. Avec tout ce qui se passe, mes histoires de cœur sont ridicules. »
Que se passe-t-il au juste ? Mussolini est au pouvoir, Hitler aussi, le conflit mondial se profile à l’horizon et les lois raciales commencent à s’imposer. Ici nous restons à hauteur de nos personnages. Nous ne verrons ni guerre, ni politiciens, ni camps de concentration. Ce qui intéresse le réalisateur, c’est d’abord de poser un climat général, la manière dont les juifs et leurs contemporains réagissent, ou ne réagissent pas, à la montée du fascisme. Le parti-pris est de ne laisser aucune place pour la morale et encore moins pour le jugement. Chacun est plus ou moins conscient du contexte, mais personne ne joue au héros. Il ne s’agit pas non plus de lâcheté, seulement de prudence face à l’inconnu. Comme l’exprime Giorgio d’un ton moqueur : « Tout le monde a une famille en Italie ! » Sous-entendu : une situation à protéger sans faire de vague. Car si Giorgio s’illusionne longtemps sur ses chances avec Micòl, il est en revanche le personnage le plus lucide sur la gravité de la situation politique.
En effet l’ensemble des autres protagonistes, qui représentent la haute société de province dans sa globalité, baignent pleinement dans l’état d’esprit du fameux jardin des Finzi-Contini. Ils refusent de se confronter à la réalité et s’enferment dans leur monde. C’est ce que fait littéralement le frère de Micòl (Helmut Berger), qui est terrifié à l’idée de sortir de chez lui et de rencontrer des inconnus. Mais c’est le cas de sa famille dans son ensemble, qui se complait dans le confort matériel et la protection factice de la villa, sans jamais se préoccuper du monde extérieur. On le voit de façon amusante lorsque Micòl reproche à Bruno (Fabio Testi) d’être « trop sincère, mal élevé, trop lombard, trop communiste et pour finir… trop poilu. » Rien n’est pris au sérieux, la légèreté domine. Le communiste en question se préoccupe, lui, davantage de ses conquêtes que de politique. Quant au père du personnage principal (Romolo Valli), il s’est même inscrit au parti fasciste, dans l’unique espoir de s’assurer une protection politique. Si De Sica ne juge donc à personne, il tire tout de même les conséquences de ces comportements qui finiront forcément par coûter cher.
Le film est subtil et visuellement superbe. La splendeur de l’été qui aveugle (comme le montre le générique de début), et qui endort, marque l’innocence en première partie, tandis que l’hiver fait son apparition dans la seconde pour traduire l’aggravation de la situation. Un jeu sur les saisons que l’on retrouvera plus tard dans le "1900" de Bertollucci, qui traite des mêmes enjeux et qui reprend également une partie du casting : Dominique Sanda et Romolo Valli. Dans "Le Jardin des Finzi-Contini", on discerne aussi forcément des accents viscontiens avec la présence, en plus de ces deux mêmes acteurs, d’Helmut Berger et de la thématique de la décadence de la haute société. Soit un délicieux concentré de la grande époque d’un cinéma que l’on a tant aimé !