LA BONNE ÉPOUSE
Binoche, Lvovsky et Moreau, les maîtresses du rire
En pleine campagne, à la fin des années 60, l’établissement dirigé par Paulette Van Der Beck s’apprête à rouvrir ses portes pour une nouvelle année scolaire. Les jeunes filles qu’il accueille se destinent toutes à devenir de parfaites épouses. Bienvenue dans l’école ménagère…
Le sujet de l’école ménagère est formidable ! Qui pourrait imaginer aujourd’hui, en 2020, une école destinée à faire des jeunes filles de parfaites petites épouses pour servir et chérir leur futur mari ? Objectivement personne. Non n’insistez pas Geneviève de Fontenay ! Et pourtant durant près d’un siècle, ces écoles ont connu un large succès jusqu’à ce que les cours deviennent obligatoires au début des années 1940… Les écoles ménagères fleurissaient un peu partout et accueillaient alors essentiellement des filles de milieu modeste. Martin Provost – scénariste et réalisateur, primé pour "Séraphine" – raconte avec délectation la vie de ces établissements à l’aube de la révolution de mai 68. C’est la partie la plus réussie du film. Il en compte trois distinctes. Les cours à l’école ménagère, suivie de l’émancipation de la directrice, pour finir par une longue séquence musicale dont on vous en dira le moins possible.
Martin Provost est donc l’un des premiers réalisateurs français (le premier ?) à s’emparer de ce sujet et à sortir son film en pleine vague féministe #metoo. Autant dire, au meilleur moment. Car le réalisateur tire à boulets rouges sur les diktats qui contraignaient les femmes à entrer dans un modèle préconçu pour leur future petite vie bien rangée aux côtés de leur mari pantoufles aux pieds et journal ouvert au coin de la cheminée, quand l’épouse est aux fourneaux ou s’occupe du bain des enfants. Martin Provost s’est entouré d’un très beau casting pour porter son film et son message féministe. Juliette Binoche incarne la directrice de l’école avec tout le talent qu’on lui connaît, s’emparant d’un phrasé et d’une gestuelle dont elle a seule le secret. Sa sœur – dans le film – est interprétée par Yolande Moreau, l’incontournable des films de Provost depuis "Séraphine". Elle est encore irrésistible dans sa gaucherie et sa naïveté somme toute juvénile… Noémie Lvovsky complète ce formidable trio dans le rôle d’une bonne sœur dure à cuire et pas très catholique !
On se délecte donc de cette première partie dans l’enceinte de l’école ménagère qui ouvre tout juste ses portes pour – ce que la directrice ne sait pas encore – une dernière année scolaire. Les élèves y découvrent – en même temps que les spectateurs amusés – les cours de repassage, cuisine, règles de bienséance, jardinage, etc. C’est assez drôle et plutôt enlevé. Les scènes s’enchaînent avec un plaisir certain, avant que la folie ne s’empare de tout ce petit monde. La comédie pure fait donc place à un style plus léger, plus fantaisiste, dans sa deuxième partie. L’émancipation de la directrice et de quelques jeunes filles rebelles est un peu traitée de manière légère, voire pour certaines scènes, de manière fantasque. Cette rupture de ton, après un début en forme de film comique mais historique – où Provost décrit avec réalisme l’éducation imposée aux jeunes filles – surprend voire dénote vis-à-vis du propos – lui qui est on ne peut plus sérieux – car il est traité de manière un peu trop farfelue. Et ne parlons pas de la fin, qui change à nouveau de style et de ton et qui noie les personnages dans un grand n’importe quoi et perd le spectateur qui ne sait plus bien sur quel pied danser…
Ne fallut-il pas rester sur une ligne de conduite unique ? Pousser à fond la comédie pure pour mieux enfoncer avec dérision et humour les poncifs du patriarcat plutôt que de tester plusieurs styles et genres de comédies qui désorientent et affaiblissent finalement le propos ? On retiendra donc plus volontiers le premier volet de cette comédie, qui réussit tout de même à traiter d’un sujet plutôt grave et qui nous rappelle combien ce combat pour l’égalité est encore contemporain, dans notre société qui nous enseigne encore que le masculin l’emporte sur le féminin…
Mathieu PayanEnvoyer un message au rédacteur