LA MAFIA N'EST PLUS CE QU'ELLE ÉTAIT
Un documentaire satyrique teinté de cynisme et de nostalgie
À l’occasion du vingt-cinquième anniversaire des attentats ayant entraîné la mort des juges Falcone et Borsellino, Franco Maresco part à la recherche des restes de leur lutte et idéaux en Sicile…
Prix spécial du jury lors de la Mostra de Venise 2019, le documentariste Franco Maresco nous emmène à Palerme en Sicile à l’occasion de la commémoration des 25 ans des meurtres des juges Falcone et Borsellino, véritables icônes de la lutte anti-mafieuse de la fin des années 80. À travers cet évènement, Maresco nous propose une nouvelle « enquête anthropologique » dont il a le secret et tente de comprendre la relation des Siciliens avec la mafia d’aujourd’hui et voir ce qu’il reste des idéaux et de la lutte des deux juges martyrs.
Tout au long du film nous sont donc décrits des personnages hauts en couleurs. La première d’entre eux est Letizia Battaglia, photographe octogénaire ayant couvert les crimes mafieux dans les années 80, farouchement opposée à la mafia donc, mais également assez triste de constater l’oubli progressif du travail des juges par la population, qui voit en cette commémoration une occasion d’organiser une fête plus qu’autre chose. Et c’est vraiment ce point qui va donner toute sa force au documentaire, car la cérémonie d’hommage n’est organisée par nul autre que par Ciccio Mira. Ciccio Mira qui est un impresario d’artistes « néo-mélodique » assez atypique, déjà protagoniste du précédent documentaire de Maresco, "Belluscone, Una Storia siciliana", et ouvertement pro-mafia (du moins dans ce dernier).
Finalement, là où les organisateurs et les palermiens prennent l’hommage aux juges comme prétexte pour faire du profit, Maresco en fait de même et le prend comme prétexte visant à souligner l’influence toujours très forte de la mafia dans la région et l’omerta qui règne parmi les habitants. Il va mettre pour cela tout son talent d’intervieweur, avec le cynisme et le sarcasme qui le caractérisent, afin de tenter de mettre les intervenants face à leurs propres contradictions, affichant d’un côté leur accord avec les idéaux de Falcone et Borsellino, mais refusant de dire clairement qu’ils sont contre la mafia.
Un procédé particulièrement jouissif pour le spectateur, qui assiste donc à une série de situations absolument incroyables et aberrantes (à tel point qu’on se demande plusieurs fois s’il s’agit d’un vrai documentaire) grâce encore une fois aux personnages complètement hallucinants et à leurs pirouettes rhétoriques improbables afin de ne jamais dire du mal de la mafia face caméra. Parmi ces personnages incroyables, on retiendra par exemple Cristian Miscel, chanteur et protégé de Ciccio Mira ayant « perdu » la capacité de chanter après un coma, mais qui se voit quand même attribué le rôle clé de la fête organisée.
Le petit bémol, au sein du documentaire, est que si l’insistance de Franco Maresco apporte les moments de gloire du film, elle apporte aussi inévitablement une certaine répétition qui paradoxalement souligne encore plus la thèse de son auteur, bien qu’elle puisse lasser certains spectateurs. La mise en scène n’est pas en reste et regorge de bonnes idées avec un rythme parfaitement maîtrisé. On retiendra notamment l’utilisation ô combien symbolique du noir et blanc à chaque apparition de Ciccio Mira, symbolisant, entre autres, la perte de l’essence originelle de la commémoration servant de toile de fond, mais aussi la nostalgie qu’il porte pour la mafia d’antan (le titre étant tiré d’une réflexion faite par Ciccio Mira lui-même).
Au final, "La mafia non è più quella di una volta" se révèle être un documentaire particulièrement fascinant, malgré une certaine répétition, regorgeant de personnages aussi hallucinants qu’attachants et doté d’une mise en scène riche, le tout étant recouvert d’un cynisme jouissif.
Ray LamajEnvoyer un message au rédacteur