BLOOD QUANTUM
Un beau gâchis
Alors qu’un mal touche le monde et transforme la plupart des humains en zombies, il semblerait que le virus épargne une population en particulier : les natifs américains…
Initialement présenté au marché du film cannois par l’intermédiaire du Festival de Toronto, "Blood Quantum", second long métrage de Jeff Barnaby, arrive cette fois-ci sur les écrans des salles du festival de Gérardmer, où il était sélectionné en compétition. Faisant toute une parabole avec la culture amérindienne, l’auteur nous livre malheureusement 96 minutes bien douloureuses pour le spectateur… Ou presque.
Presque en effet, puisque le premier acte de ce film de zombies est, il faut être honnête, de bonne facture. Le premier tiers du film, relatant le début de l’épidémie zombie reste plutôt efficace et regorge de bonnes idées, jusqu’au générique d’ouverture lui-même, filmé avec des plans inversés, constituant un beau foreshadowing (une belle évocation) du retournement des rapports de force qui s’orchestrera plus tard dans le film. Le premier acte présente aussi tous les personnages, de manière assez intelligente, en s’attardant sur les relations entre ceux-ci, sans pour autant perdre en fluidité, ni en action, qui lorsqu’elle démarre avec l’épidémie, est haletante et prenante. La tension y est bien maîtrisée, notamment avec la multiplication des points de vue des différents personnages. Bref, tout démarre très bien, sur des chapeaux de roues. Alors que se passe-t-il pour laisser finalement un souvenir amer au spectateur ? Et bien tout le reste.
En effet, passé le premier tiers, le film fait une ellipse et retrouve le spectateur quelques mois plus tard. Finie l’action zombie, on passe maintenant à de la survie, rappelant par exemple la série "Lost" ou encore si l’on veut rester proche du genre, la série "The Walking Dead". Sauf que le tout est extrêmement mal géré. On a beaucoup de mal à comprendre le fonctionnement du camp. Par exemple, s’il est vite acquis que les natifs américains sont immunisés contre le virus zombie, on met un certain temps à comprendre qu’en fait beaucoup de membres du camp ne sont justement pas des natifs américains (ce qui sera décisif au moment du climax).
Autre point difficile à comprendre, les relations entre les personnages principaux. En effet, après avoir passé un tiers du film à les établir, soudainement elles se retrouvent toutes diamétralement opposées après l’ellipse. Or, si a posteriori on peut tout à fait admettre que plusieurs mois dans une situation aussi extrême, cela déstabilise plus qu’autre chose, d’autant plus que le cheminement psychologique des personnages pour en arriver à ce point-là s’évapore avec l’ellipse, leur cheminement jamais n’est abordé, perdant ainsi le spectateur sur leurs intentions et enjeux. Le film est donc obligé de réintroduire toutes les relations entre les différents protagonistes, notamment entre le shérif et ses deux fils, passant du coq à l’âne, rendant une bonne partie du premier acte finalement caduque et la réduisant à une perte de temps plus qu’autre chose.
Perte de temps d’autant plus accentuée par le fait qu’on assiste à pas mal de séquences absolument inutiles, comme lors de la fête où l’on a droit à une anecdote sexuelle de la part de l’antagoniste du film, qui ne fait pas avancer l’histoire, ni ne développe réellement les personnages. D’ailleurs, en parlant de l’antagoniste, il est le meilleur représentant de la perte du spectateur dans la compréhension des personnages, Jeff Barnaby confondant les émotions (bien identifiées ici chez l’antagoniste) avec les motivations et enjeu. En effet, si l’on comprend bien qu’il est en colère et que cette colère est dirigée contre le shérif essentiellement, on a du mal à savoir pourquoi et donc à comprendre ses choix.
Cette dichotomie marquée par l’ellipse se retrouve également dans la réalisation. Là où le premier tiers est parfaitement maîtrisé et l’action aussi tendue qu’un élastique, la gestion des décors et des mouvements de personnages est bien approximative dans la seconde partie, perdant donc le spectateur dans l’espace, en plus de le perdre dans la compréhension des personnages. Même l’action parait au final, à cause de cette mauvaise gestion de l’espace, assez brouillonne, même si elle regorge ici et là de quelques idées intéressantes.
Et c’est peut être bien ce que retiendront les spectateurs à la sortie de la séance : un film avec un très bon potentiel, de bonnes idées de mise en scène ici et là, et un premier tiers réussi mais une seconde partie peu compréhensible en opposition totale avec la première et parsemée de séquences inutiles et peu intéressantes, perdant le spectateur. Ceci malgré une fin qui renoue avec l’action et une bonne idée de métaphore sur la conquête de l’Amérique par les Européens au détriment des natifs américains.
Ray LamajEnvoyer un message au rédacteur