ABOU LEILA
Aux portes de la violence
Algérie, 1994, des assassinats sont commis en pleine ville par Abou Leila, un terroriste recherché. S. et Lotfi, amis d’enfance, s’enfoncent dans le désert à la recherche de celui-ci. Mais S. est de plus en plus malade…
Présenté à la Semaine de la critique de Cannes 2019, "Abou Leila" était le film algérien de la section, ancré dans un contexte de terrorisme qui interroge également au final sur le rôle de la police d’État. Débutant sur une scène tendue d’assassinat en pleine rue, la caméra suivant au plus près l’agresseur dans son approche de sa victime, montrant du même coup l’omniprésence policière, le film se mue par la suite en road-movie aux portes du désert. Empreint de mystère, puisque le lien entre les deux hommes, en dehors de leur amitié évidente, n'est révélé que tardivement, le récit montre l'ambivalence de chacun et fait de chaque étape un danger potentiel.
Des coups de téléphone de Lofti révélant la manière dont il considère son ami, aux oscillations de S. entre intention d’aider les autres et objectif vengeur, on ne sait qui des deux parviendra à ses fins. La mise en scène, elle, s’attache à nous embarquer dans l’évident déséquilibre mental de S. Et l’habileté d’Amin Sidi-Boumedine consiste à mettre en scène un mélange de réalité et de fantasmes, de plus en plus mêlés. Une rêvasserie en voiture nous transporte ainsi dans un souvenir d’enfance, où sa masculinité est questionnée par son père. Une étape nocturne nous entraîne dans un cauchemar. Une errance dans un désert à la chaleur accablante nous emmène en ville, dans un autre souvenir unissant les deux hommes.
Par petites touches, le scénario donne ainsi à voir la violence intérieure des deux hommes, l’un des personnages oscillant entre comportement post-traumatique et possible schizophrénie. Mais l’auteur se garde bien de jamais vraiment livrer de clés, préférant nous entraîner dans les sublimes paysages du Sahara, méandres de sable et de rochers, à la manière du labyrinthe mental dans lequel semble pris au piège S. Un film à la fois hypnotique et dépaysant.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur