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MÉTIERS DU CINÉMA : Portrait d'un monteur
À travers le parcours d’Alexandre Donot et sa façon d’envisager le cinéma, nous vous proposons d'explorer son métier : monteur. Un travail de l’ombre, méconnu du grand public, et pourtant d’une importance majeure. De sa formation à son dernier projet en date, en passant par le film "Guy" d'Alex Lutz et la web-série "Lost in Traplanta" de Mathieu Rochet, découvrons la vision d'un jeune monteur qui a déjà collaboré à des projets variés et ambitieux.
« Le montage est un métier de curiosité, d’écoute, et une expérience sans cesse renouvelée ». Une chose est sûre, Alexandre Donot aime les rencontres, et faire tomber les barrières. Il aime aussi parler de sa profession et du septième art, avec la conviction que, malgré les technologies actuelles, « le cinéma reste avant tout un métier d’artisans ».
Le parcours d'Alexandre Donot est riche, et il a la particularité de puiser ses racines dans la décentralisation théâtrale. Élevé dans une famille stéphanoise qui pratique le théâtre en amateur, il grandit avec « le souci du public : produire des pièces à la fois divertissantes et intelligentes ». Cette jeunesse lui apprend « l’exigence, le travail de groupe et le souci permanent de tisser le lien entre la scène et le spectateur ». Sa passion pour le cinéma et son travail de monteur ne font que suivre cette même philosophie. Que ce soit un documentaire ou une fiction, « c’est avant tout une histoire que l'on adresse à quelqu’un ».
Sa formation est solide : diplômé de Paris 3 puis de la Fémis, avec une année au sein de la célèbre UCLA durant son cursus universitaire. C’est d’ailleurs à Los Angeles qu’émerge vraiment sa vocation de monteur : l’UCLA n’ayant pas de département montage, Alexandre Donot se met à monter les travaux d’autres étudiants, tout en suivant une formation mettant avant tout l’accent sur la grammaire du cinéma et le découpage. De retour en France, c’est assez naturellement qu’il passe le concours de la Fémis, département montage. Ce cursus de quatre ans laisse le temps aux étudiants de construire un regard et une pensée. Aux apprentis monteurs, on enseigne l'importance de la première vision des rushes. Lors de certains modules, on propose ainsi aux étudiants les prises d'une même séquence dont chacun propose un montage différent et donc sa propre façon d’envisager ce matériau de départ. S'ensuit une discussion sur le point de vue, la dramaturgie, l’interprétation des images ou encore le rythme. Le montage est un savoir-faire, mais c'est aussi un regard personnel : « Il n’y a pas qu’une vérité dans le montage. Le tournage nous fournit une matière avec laquelle on peut tout rejouer, tout réinventer. »
Si tous les parcours sont différents, Alexandre Donot fait partie de ceux qui sont passés par l’assistanat. Pour son stage de troisième année à la Fémis, il contacte Hervé de Luze qui l'invite à travailler sur le film d'Alain Resnais "Vous n'avez encore rien vu". Pour ceux (sans doute nombreux) qui méconnaissent les noms des monteurs, précisons que De Luze est un grand nom du montage en France : collaborateur régulier d’Alain Resnais, Roman Polanski et Claude Berri, il a été nommé régulièrement pour le César du meilleur montage, qu’il a remporté à trois reprises ("On connaît la chanson", "Ne le dis à personne" et "The Ghost Writer"). « C'est un professionnel précis et exigeant qui a traversé plusieurs époques du cinéma français. Travailler avec Hervé c'est apprendre en permanence. » Selon Alexandre Donot, une expérience d’assistant permet de mieux comprendre la gestion des relations entre le monteur, le réalisateur et les autres maillons de la production. L’assistant est un peu la « tour de contrôle de la post-production ». Il est en contact permanent avec l'ensemble des interlocuteurs concernés par cette étape de création d'un film : monteurs sons, compositeurs, effets spéciaux, etc. L’assistanat permet aussi à Alexandre Donot de travailler et d'apprendre sur des types très différents de films et de réalisations : Alain Resnais ("Vous n'avez encore rien vu" donc), Christophe Gans ("La Belle et la Bête"), Édouard Baer ("Ouvert la nuit"), Pierre Godeau ("Éperdument"), Eran Riklis ("Le Dossier Mona Lisa")…
Le film de fin d’études qu’il a écrit, réalisé et monté à la Fémis, est une sorte de retour aux sources. "Il n’y a pas de nom plus beau" est un documentaire sur l’influence de la décentralisation dans le développement du théâtre amateur. Il suit le parcours de son propre grand-père qui a créé une structure de ce type à Saint-Étienne (le Théâtre de la Grille Verte, toujours actif). L’enjeu est de taille, car il lui faut parvenir à se détacher du sujet familial, « arriver à objectiver le propos tout en ayant un point de vue assez fort sur cette histoire et tenir la narration ». Ce film est un révélateur : « Par définition, la matière issue d'un tournage documentaire n'est pas forcément écrite. Même si le film a une trame initiale, le réel nous submerge. Des séquences imprévues arrivent et d'autres sont impossibles à filmer. Le montage doit malgré tout façonner des personnages, trouver un rythme, une dramaturgie. » Il prend conscience qu'il ne faut pas hésiter à chambouler la chronologie pour créer du sens. Le réel qu'on a enregistré n'est pas figé, le son et l'image ne sont qu'une matière brute et le travail de montage est une réécriture.
« Même si c'était une épreuve difficile, car abordant une histoire très personnelle, ce travail m'a par la suite beaucoup servi pour la fiction ». Le film commence à la première personne, puis "Il n'y a pas de nom plus beau" finit par toucher l'universel. Il est, depuis 2012, régulièrement projeté à travers la France et il est accessible sur Vimeo. C'est un film admirable sur ce pan de l'histoire culturelle française qu'a été la décentralisation théâtrale et dont les Centres dramatiques nationaux et autres Scènes nationales sont aujourd'hui l'héritage.
En 2017, Alexandre Donot monte son premier long métrage de fiction, "Guy" de et avec Alex Lutz, en binôme avec Alexandre Westphal, pour qui l’expérience est tout aussi inédite. Une fiction oui, mais une forme hybride car il s’agit d’un faux documentaire. À la fois très écrit et très improvisé, le projet offre une matière très riche, Alex Lutz ayant eu recours à un tournage très libre : soit une centaine d’heures de rushes disponibles, et des prises allant jusqu’à 1/4h, pour une durée finale d’1h40 ! Les deux monteurs ont ainsi pour tâche de faire décanter cette matière première conséquente et de trouver un ton et un rythme, car la forme finale, telle que le public la connaît, n’est pas évidente au départ. Les deux monteurs ayant travaillé sur des documentaires, leur expérience devient très utile et le montage à quatre mains s’avère fructueux, les propositions s’enrichissant mutuellement, avec le réalisateur « toujours en juge de paix ». Alex Lutz fait même l’apologie d’une telle situation avec une formule qui fait mouche : « être à trois en salle de montage, c’est un début de démocratie ». Selon Alexandre Donot, ce film est un succès car l’équipe a « pris le temps de discuter, d'essayer. Un montage est réussi quand tu as tout tenté et que ni le réalisateur ni le producteur ni personne n’a de regret, que tu es arrivé au bout des possibilités contenues dans la matière. »
Le montage est une orfèvrerie ; mélangeant des éléments du tournage mais aussi de vraies éléments d'archives, il fait vivre Guy Jamet, ce chanteur populaire qui n'a pourtant jamais existé. L'émotion et la pudeur du récit nous touchent en plein cœur. Pour Alexandre Donot, "Guy" revêt aussi un « écho personnel troublant » avec son film de fin d’études : le regard d’un homme sur son père, la transmission, la filiation. « On monte un film avec ses tripes et ça n'est pas un hasard s’il y a des échos d'un projet à l'autre ». Nommé six fois aux César (dont celui du meilleur film), il y a été récompensé pour le meilleur acteur et la meilleure musique. Également film de clôture de la Semaine de la Critique à Cannes en 2018, il est l’un des longs métrages français les plus marquants de cette année-là.
Alexandre Donot se retrouve plus tard aux commandes du montage d’un autre projet hybride : "Lost in Traplanta", réalisé par Mathieu Rochet, journaliste spécialiste du hip-hop. Il s'agit d'une web-série alliant documentaire et comédie au fil de dix épisodes produits et diffusés sur Arte TV. A priori, on est loin d'un long métrage, mais peu importe le format : « Chaque média a sa particularité, mais le travail d'un monteur reste le même. » Cette série, qui obtient un succès à la fois public et critique, est maintes fois primée en festival, aussi bien dans des catégories fiction que documentaire. Et lors de la post-production, le timing est serré : cinq semaines de montage pour plus d'1h de programme.
L'expérience acquise par Alexandre Donot lui permet d'imposer une certaine méthodologie. « L'idée était de travailler comme si nous montions un long métrage : regarder les rushes et avancer sans précipitation, avec un premier montage assez large. L'écueil aurait été de s'épuiser sur le premier épisode, sans avoir une vue globale de ce que nous racontions. Même si cette première étape était longue, je savais qu'on gagnerait du temps à la fin. Le projet était très écrit, avec beaucoup d'informations à faire passer en 7, 8 minutes [par épisode] mais Mathieu [Rochet] s'était aussi laissé porter par l'inspiration et l'inattendu au moment du tournage. Il fallait trouver une place à tout ça. » Suggérée par le monteur, cette façon de procéder permet ainsi de révéler ce que recèle la matière et d’affiner le propos de manière organique : « Mathieu voulait nuancer sa proposition de base et ne pas opposer deux périodes du rap en privilégiant la plus ancienne. En phase de montage, il a eu la place de retravailler cette idée et nous avons trouvé des solutions cinématographiques à ce qu'il voulait raconter. »
Dernièrement, Alexandre Donot a planché sur son deuxième long métrage de fiction : "Another Day in Baghdad", de la réalisatrice anglo-irakienne Maysoon Pachachi, en cours de finalisation. « Le scénario était très beau, très ambitieux : un film choral sur la population de Bagdad après l'invasion américaine. » Or, ce projet fait face à plusieurs contraintes durant sa production : budget serré, difficultés de tournage à Bagdad et au Kurdistan… Alors que de longs plans-séquences sont initialement prévus, il est rapidement évident, dès le début de la post-production, qu’il faut « découper plus que prévu ». Après plus d’un mois de travail, un « ours » (c’est-à-dire un montage le plus large possible, avec un tri minimal et des choix encore sommaires) permet au monteur et à la réalisatrice de se rendre compte du travail nécessaire pour la suite.
« De façon assez habituelle, un ours fonctionne difficilement » et c’est le moment où le monteur doit aider le réalisateur à « se détacher de la structure initiale ». Il faut ainsi parvenir à « avancer à deux sans trahir les idées d’origine ». Si le montage est un acte à la fois technique et artistique, le monteur, qui n’a pas le même rapport affectif envers les rushes, doit aussi être un peu psychologue et diplomate, car cela peut être « assez douloureux » pour un-e cinéaste de « lâcher prise sur ses idées de base ».
Sur "Another Day in Baghdad", le montage final d'Alexandre Donot, « plus elliptique et plus en creux » par rapport aux intentions de départ, laisse plus de place au hors-champ et à l’imagination des spectateurs. La forme se trouve en adéquation avec le fond : « Maysoon [Pachachi] voulait montrer la capitale irakienne comme un lieu où les quotidiens sont en éclats, des mosaïques de vie qui doivent continuer malgré tout ». De cet exemple, Alexandre Donot tire cette leçon : « Trouver des idées de montage, c’est révéler l’inconscient du tournage et du scénario, sans trahir les intentions du réalisateur ».
Du théâtre au cinéma, Alexandre Donot a ainsi fait de son parcours atypique une richesse dans sa pratique professionnelle. Son attrait pour la diversité le pousse aussi à vouloir faire tomber les clivages et les idées préconçues. « Je mesure au quotidien la chance que j'ai de faire ce métier. Raconter des histoires au gens, les divertir en créant du sens, c’est un privilège ». Toujours ce désir de faire converger populaire et qualité.