Festival Que du feu 2024 encart

ARTICLES

Cannes 2019

Cannes 2019 : Bilan - À Cannes aussi, on rigole beaucoup (si si promis) !

Il existe une vieille légende, une de celles qu’on se raconte de cinéphiles en cinéphiles, de générations en générations. La comédie n’aurait jamais pu pénétrer l’antre du Festival de Cannes. Évidemment, il y eut, à de maintes reprises, des films à la tonalité humoristique présentés sur la Croisette. Mais ces tentatives seraient marginales, de vulgaires alibis pour balayer d’un revers toutes les critiques sur le présumé mépris de l’institution pour ce genre éminemment populaire.

Si pour certaines éditions, il était, en effet facile de reprocher à Thierry Frémaux, Directeur Général du Festival, et à son équipe d’ignorer ce type de métrages, 2019 s’impose comme l’année du changement, représentative d’une époque où l’humoriste est roi (on ne compte plus ceux devenus des acteurs bankable) et où le stand-up s’impose comme une discipline majeure dans le paysage culturel hexagonal (il suffit de regarder l’explosion du nombre de comedy clubs pour s’en rendre compte).

The dead don't die image sélection

The dead don't die (c) Universal pictures

Nouvelle ligne éditoriale ou simple évolution logique dont les prémisses étaient déjà apparues les années précédentes ? Les avis divergeront certainement, mais force est de constater que le Festival a tout fait pour que la comédie soit présente massivement sur cette soixante-douzième édition. Et ce, dès le film d’ouverture. "The Dead don’t die", parodie potache de survival par Jim Jarmush, a ainsi eu les honneurs d’ouvrir le bal. Alors qu’Edouard Baer avait déjà titillé les zygomatiques de la salle, les spectateurs ont eu le droit à un Bill Murray en roue libre, liquidant du zombie à la pelle dans cette comédie généreuse bien qu’inégale. Si l’humour US avait eu la lourde de tâche de démarrer les festivités, il était tout naturel qu’une production locale referme l’évènement. Qui de mieux alors que les nababs de la comédie française, Olivier Nakache et Éric Toledano pour le faire ? "Hors normes" fut par conséquent intronisé à jamais comme la première « Dernière séance », nouvelle appellation du « Film de clôture ». Plongée saisissante et sans concession au cœur des associations travaillant auprès d’autistes, le métrage a parfaitement conclu la quinzaine. Grâce à leur humour salutaire et jamais appuyé, les réalisateurs ont réussi à émouvoir profondément avec cette histoire dont la réalité rattrape la fiction, et où l’optimisme et l’humanisme des metteurs en scènes sont probablement les meilleurs arguments pour sensibiliser sur cette situation.

La belle époque image sélection

La belle époque (c) Pathé Distribution

Entre ces deux films projetés dans le Palais des Festivals, la sélection officielle a bel et bien fait une grande place aux comédies. Parmi les évènements marquants de cette cuvée 2019, on retiendra évidement la présentation d’une version restaurée de "La Cité de la peur", œuvre matricielle de l’humour français, dont l’action prenait place à… Cannes. Pour l’occasion, Les Nuls et Gérard Darmon avaient fait le déplacement. Prétextant un problème technique, Alain Chabat et Gérard Darmon en ont même profité pour refaire les pas de la célèbre Carioca devant une foule en délire qui scandait les paroles. Hors compétition, "La Belle époque" avait vu naître le mariage entre l’humour de Nicolas Bedos et un hommage appuyé à la magie du cinéma, à cet Art de l’illusion où tous les rêves peuvent prendre vie. L’ancien trublion de la littérature signe un film malicieux, sensible, inventif, souvent jouissif, parfois poignant. Surtout, il offre à Daniel Auteuil et Fanny Ardant leur meilleur rôle depuis bien longtemps sur grand écran.

Si cette présence renforcée des productions humoristiques était palpable au global, notamment grâce aux sélections parallèles (à noter la pépite "Perdrix", où se croisent un policier flegmatique, une jeune femme déjantée et un groupe de naturistes révolutionnaires), quid de la compétition ? Officiellement, seul un des vingt-et-un prétendants à la Palme d’Or appartient au genre de la comédie. Il s’agit de "It Must Be Heaven" du très rare Elia Suleiman, poète tragico-absurde qui manie l’absurde comme peu. Aurions-nous alors été bernés par les effets d’annonce ? Tout cela n’était-il qu’un camouflet ? De la poudre aux yeux pour s’éviter les critiques tout en poursuivant dans le mépris lorsqu’il s’agit de potentielles distinctions ?

Parasite image sélection

Parasite (c) the jokers les bookmakers

La réponse est non, de nombreux projets sélectionnés cette année comprenaient des tonalités cocasses dans leur ADN, bien que dissimulées au sein d’un genre autre. La Palme d’Or, amplement méritée, pour "Parasite" de Bong Joon-ho en est la parfaite démonstration. Thriller époustouflant, le métrage a été aussi bien célébré pour sa tension permanente et l’intelligence de son scénario que pour sa satire sociale et son humour cynique. Beaucoup moins dans la subtilité, "Once Upon a Time… in Hollywood" faisait lui exploser les conventions dans des scènes où les rires naissent de la surenchère d’un auteur ne s’imposant aucune limite. Dans la même veine, "Bacurau", parabole sanguinolente de la situation actuelle du Brésil, avec une corruption généralisée et des disparités sociales criantes, a osé caricaturer les genres du western et de la science-fiction au profit d’une fable politique musclée. Quant aux "Siffleurs" de Corneliu Porumboiu, le polar se retrouve édulcoré par des séquences amusantes sur l’apprentissage d’une langue dont les mots ont été remplacés par des sifflements.

Si le débat fera encore rage durant de nombreuses années sur la sous-représentation cannoise des comédies, genre qui affole les compteurs du Box-Office, il faut bien reconnaître que ce dernier cru nous aura permis de s’esclaffer à de nombreuses reprises. Au-delà de la pseudo incompatibilité entre le prestige de l’événement et la dimension populaire inhérente aux œuvres portées sur l’humour, le Festival a rappelé au plus grand nombre que comédie était loin d’être antonymique avec qualité cinématographique. Et qu’à ce petit jeu, les réalisateurs français n’ont pas à rougir de leurs camarades étrangers. Rendez-vous l’année prochaine ! Pour s’amuser ?

Christophe Brangé Envoyer un message au rédacteur