MIRAGE
La vie ne tient qu’à un fil
En 2014, Vera, David et leur fille emménagent dans une maison où a vécu Nico Lasarte, un enfant mort en 1989 dans des circonstances tragiques. Ils y découvrent un vieux téléviseur, un caméscope et des cassettes VHS enregistrées par Nico. Lors d’une nuit d’orage, ce dispositif provoque un paradoxe temporel qui permet à Vera de communiquer avec Nico malgré les vingt-cinq ans d’intervalle. Elle peut empêcher le drame d’advenir et bouleverser ainsi le cours des choses…
Sortie le 22 mars 2019 sur Netflix
Rappelez-vous des avertissements du Doc dans "Retour vers le futur" : modifier le passé peut provoquer « une réaction en chaîne qui pourrait déchirer le tissu même du continuum espace-temps ». Depuis ce film culte, le cinéma a multiplié les déclinaisons de ce principe (avec plus ou moins de bonheur) pour confronter divers personnages aux conséquences possiblement démentielles d’une altération du passé.
Quand on a, dès le départ, une posture claire de science-fiction (généralement l’invention d’une machine à voyager dans le temps) ou de merveilleux (souvent un pouvoir magique), le public est plus facilement susceptible d’accepter l’univers fictif qui lui est proposé, sans se poser la question de la vraisemblance. En revanche, il est bien plus périlleux d’utiliser un paradoxe temporel dans un monde relativement réaliste (le nôtre) avec une activation plus ou moins surnaturelle (donc en proposant un récit fantastique au sens strict du terme).
Dans ce genre de cas, pour que le scénario tienne la route, il convient généralement que le paradoxe temporel ne soit finalement qu’un prétexte fictionnel dont on doit oublier en partie la faible crédibilité pour plonger dans les méandres de l’histoire et les tourments des protagonistes. C’est ce qu’avait par exemple bien réussi Germinal Alvarez en 2013 pour son premier long métrage (et toujours unique à ce jour), "L’Autre Vie de Richard Kemp". Et c’est aussi avec talent que l’Espagnol Oriol Paulo réalise cet étonnant "Mirage" – on regrettera au passage le très banal titre français, alors que "Pendant la tourmente" aurait offert une polysémie bien plus adéquate avec le sujet, la créativité et le titre original du film !
Si l’on accepte l’incongruité du scénario, c’est d’abord parce que la mise en scène ne tombe pas dans l’erreur récurrente de personnages qui admettent trop facilement la situation. Ici, Vera est longtemps déboussolée par les bouleversements auxquels elle fait face et les autres protagonistes restent déconcertés, perplexes ou agacés par ses réactions ou ses propos, à l’exception d’un troublant jeune inspecteur de police qui la suit étonnamment partout (sans doute le seul élément important pour lequel la réalisation manque de subtilité). Un peu comme dans "La Moustache" d’Emmanuel Carrère, on compatit avec Vera qui est la seule à se rappeler d’un passé dont les autres ne conservent aucun souvenir. C’est d’ailleurs dans notre identification au personnage que se situe l’un des principaux points forts du film. L’aspect fantastique n’est finalement qu’un prétexte pour Oriol Paulo, afin d’interroger les conséquences des choix d’un individu sur sa propre vie ou celle des autres.
Finalement, "Mirage" se rapproche de films comme "Cours, Lola, cours" de Tom Tykwer ou "Peut-être" de Cédric Klapisch : comme dans le film allemand, le destin de Vera dépend d’une seule variation de départ, et comme dans le film français, l’existence d’une descendance tient à une décision très précise qui la rend possible ou non. Ajoutons à cela une mise en scène qui flirte avec le magistral "Ouvre les yeux" et on peut se risquer à affirmer qu’Oriol Paulo est en passe de devenir l’un des nouveaux chefs de file du cinéma de genre à l’espagnole.
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur