LITTLE JOE
Comparaison n’est pas raison, un Black Mirror au cinéma ?
Alice est d’une part une part une psycho-généticienne qui travaille au développement d’une fleur qui, si l’on s’en occupe très assidûment, qu’on lui donne de l’amour et de l’attention, rend son utilisateur heureux. Il s’agit de Little Joe. D’autre part, elle est une mère de famille célibataire qui délaisse un peu son fils adolescent, Joe. Passionnée par son projet, elle ramène chez elle un pied de la fleur et le confie à son fils. Le comportement du garçon et de tous ceux qui ont été exposés au contact de la fleur aurait-il changé ? …
Le pitch de "Little Joe" semble immédiatement inscrire le film dans la lignée des dystopies technologiques que propose la série anthologique "Black Mirror". Mais partir dans cette voie ne serait pas rendre justice au film de Jessica Hausner dont les problématiques sont autres. En effet, si certes tous les problèmes liés aux dérives technologiques et à la manipulation du génome permettent à la réalisatrice de revisiter le genre du body snatcher en y ajoutant une caution scientifique et psychologique (le syndrome de Capgras), c’est la question de la maternité qui l’intéresse au plus au point.
"Little Joe" est en effet une fable, une fable pour adulte où une mère célibataire doit choisir entre ses deux enfants, celui issu de sa chair, qui grandit loin d’elle et qui a son existence propre (Joe), et celui qui est né de son intellect, et qu’elle pense maîtriser (Little Joe). Mais la plante est aussi un reflet d’elle-même et de son rapport à la maternité : la plante est infertile.
Cette idée de fable est reprise dans la forme même du film. Les couleurs sont très vives et monochromatiques. Le jeu des acteurs est très distancié, dans l’apparence, invitant clairement le spectateur, par l’espace qui existe entre leur interprétation et le type de personnages qu’ils jouent, à réfléchir à ce qu’ils représentent.
La réalisatrice filme également les plantes immobiles dans de longs plans séquences circulaires qui s’attardent sur l’espace immobile du végétal. Pas si immobile cependant... Dès lors, il s’agit d’observer à la loupe le moindre changement. Commence alors un jeu d’enquête dans le film mais aussi pour le spectateur. Le jeu très maîtrisé de Ben Whishaw change-t-il réellement ou est-ce le doute qui vient déformer ce que l’on voit ?
Très bien exécuté, quoi qu’un peu froid et lent, le film présente un vrai personnage féminin qui ne respecte pas l’image conventionnelle de la mère, tout en étant fondamentalement une bonne mère. Emily Beecham a d’ailleurs reçu le prix interprétation féminine pour ce rôle au Festival de Cannes 2019. En réfléchissant en plus sur le fonctionnement des sentiments dans la communauté humaine et sur le sens profond du bonheur, le film de Jessica Hausner se dote d’une couche métaphysique qui peut faire son chemin auprès des spectateurs réceptifs.
Thomas ChapelleEnvoyer un message au rédacteur