THÉÂTRE DU RADEAU, TRIPTYQUE
Le Radeau nous laisse médusés
La compagnie du Théâtre du Radeau, fondée au Mans en 1977 et dirigée depuis 1982 par le metteur en scène François Tanguy, expérimente constamment les limites du théâtre. Patrick Viret filme la compagnie à trois reprises, en 1988, en 1992 puis en 2016-2018. Ce film est l’aboutissement de ces trois expériences mises bout à bout…
Comment filmer une compagnie qui cherche à bouleverser et réinventer l’expérience théâtrale ? En faisant un documentaire plus ou moins didactique qui décortique l’acte créatif, ou en collant à l’expérimentation ? Patrick Viret choisit la deuxième option, pour le meilleur et pour le pire. Comme son titre l’indique, ce film se décompose en trois temps, qui s’avèrent très différents dans la durée comme dans la forme.
Chronologique, le métrage s’ouvre par ce que Patrick Viret avait filmé lors de représentations de la compagnie en 1988. Sous le titre "Jeu de radeau", ce premier segment de cinq minutes s’oriente formellement vers l’expérimental, montrant un désordre d’allers-retours de comédiens costumés dans un lieu intrigant, qui ressemble plus à un terrain vague derrière un bâtiment abandonné qu’à un théâtre… Où est-on ? Dans d’aberrantes coulisses ? Sur une scène « hors les murs » ? Le film n’apporte pas d’explication et nous devons nous contenter de nous laisser porter par le mystère ou de chercher la réponse ailleurs (où l’on trouve qu’il s’agissait effectivement d’une contrainte du dispositif scénique à la Cartoucherie de Vincennes pour passer de cour à jardin ou vice-versa).
Intitulé "Carnet de bord", le deuxième segment, d’une vingtaine de minutes, suit une tournée de la compagnie en Italie et en Norvège en 1992. Là encore, Patrick Viret évite à la fois le théâtre filmé et le « making-of » classique. S’enchaînent donc des images de préparations techniques, de voyage, ou de moments de vie quotidienne, le tout avec une narration assez monocorde du journal du comédien Jean Rochereau qui alterne réflexions théoriques sur le théâtre ou l’image, et anecdotes futiles illustrées par des plans qui le sont parfois tout autant. On ne sait sur quel pied danser : doit-on être fasciné ou frustré ? Doit-on trouver cela créatif ou simpliste ? Prétentieux ou absurde ? Décousu ou digne d’un cadavre exquis surréaliste ? Banal ou banalyste ? Le sens nous échappe régulièrement, le décalage entre le son et l’image intrigue, et on décèle parfois d’étonnants échos, comme lorsqu’une séquence montre la troupe déplaçant la table de leur repas à cause d’un orage, avant qu’un extrait de mise en scène ne nous montre une comédienne se tenant debout sur une table que d’autres interprètes portent et font pivoter.
La troisième et dernière partie (la plus longue) est titrée "Soubresaut", d’après la pièce homonyme dont Patrick Viret a suivi la création à partir de 2016. Toujours avare d’indications, le réalisateur continue de bouleverser nos repères : est-on dans la captation ou assiste-t-on à des répétitions ? La mise en abyme du texte contribue à brouiller les pistes. Mais finalement, Patrick Viret compile bel et bien des séquences de répétitions, bénéficiant de plusieurs angles qui concourent à donner un nouveau regard sur l’espace scénique. S’il revient à une forme un peu plus habituelle de making-of (en cela qu’il filme les coulisses et la création en train de se faire), cela rend toutefois le film plus « utile » dans le sens où l’on perçoit mieux le travail réel de la troupe et notamment celui de François Tanguy, le metteur en scène du Radeau, qui donne ça et là ses indications aux comédiens.
Si la forme de ce documentaire peut laisser perplexe, il a au moins le mérite d’éveiller la curiosité chez le spectateur qui, s’il s’intéresse un tant soit peu au théâtre, éprouve le désir de découvrir in situ le travail de François Tanguy et du Théâtre du Radeau.
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur