PSYCHOMAGIE, UN ART POUR GUÉRIR
Jodo le gourou
Le cinéaste Alejandro Jodorowsky a inventé la « Psychomagie », une thérapie permettant à chacun de libérer des blocages en s’adressant directement à l’inconscient par le biais d’actes théâtraux et poétiques. Ce documentaire recense quelques expériences filmées de psychomagie, supervisées par Jodorowsky…
Du fabuleux documentaire "Jodorowsky’s Dune", on se souvient encore aujourd’hui d’une remarque édictée par Jodorowsky à propos de son adaptation du livre de Frank Herbert, rêvant alors de réaliser une œuvre qui pourrait éveiller les consciences et qui lui donnerait un statut de prophète. Une remarque qui, mille fois hélas, fait naître un vrai blocage vis-à-vis de notre position de spectateur dès les premières secondes de "Psychomagie". Le temps d’une scène d’introduction où l’immense cinéaste d’"El Topo" et de "La Montagne sacrée" lit à voix haute un texte le présentant comme le créateur de la psychomagie et précisant le concept en trois lignes succinctes, on sent tout de suite que ça va coincer. Que ce cinéaste si précieux dont on a tellement aimé les films va tout à coup embrasser un autre statut qu’on n’aurait jamais souhaité voir chez lui – même s’il contient assurément une part de vérité. Que ce film vanté ici et là comme une approche précise du concept de psychomagie va se montrer incapable de traiter son sujet par des moyens cinématographiques – parce que c’est de ça dont il s’agit quand on choisit le 7ème Art comme médiateur. Qu’une thérapie spécifique, voire inédite, ne va pas mettre bien longtemps à évoquer des pratiques tantôt ridicules tantôt malsaines, avec un étrange gourou un peu zinzin sur les bords pour jouer les maîtres de cérémonie.
Voilà bien une partie – pourtant bien connue – de la vie de Jodorowsky que l’on n’aurait jamais souhaité voir sur grand écran : celle d’un « guérisseur », adepte du Tarot de Marseille et des théories sur l’inconscient, qui se met en tête de guérir et de libérer les consciences par le biais de son art. Jusqu’ici, c’est peu dire que ses films allaient à rebours de cet inquiétant concept : de "Fando & Lis" à "Poesia sin fin" en passant par "El Topo" et "Santa Sangre", le cinéma selon Jodo avait donné le « la » d’une certaine conception de la quête initiatique, libérée des contraintes de production et riche d’une démesure surréaliste qui se vivait librement, comme un amas de fulgurances qu’il s’agissait de recevoir et non de décrypter à tout prix. Sensuelles et cruelles, obscènes et mentales, métaphysiques et émotionnelles, les expériences de Jodorowsky sur grand écran avaient valeur de jamais vu, et surtout, prenaient vie dans des univers codifiés où l’étrangeté, le symbole, le dialogue cryptique, voire la plus obscène des idées visuelles, surgissait comme une fulgurance pour ébranler les certitudes imposées par l’univers normatif et nous faire ainsi atteindre un autre niveau de conscience. Mais là, au travers d’un documentaire qui se contente d’illustrer platement des actes théâtraux et poétiques sur des patients fragiles sans jamais y superposer un quelconque niveau de stylisation, la réalité fait l’effet d’une gifle, pour nous comme pour un Jodorowsky qui n’a pas assez pensé son art.
Pour faire simple, disons que l’aspect documentaire et l’absence de narration travaillée échouent sans cesse à faire de la moindre séance de psychomagie une fulgurance du niveau de ce que Jodorowsky avait travaillé dans ses fictions bizarroïdes. L’art du cinéaste, autrefois beau parce que stylisé, se résume ici à des pratiques pseudo-ésotérico-thérapeutiques qui confinent au ridicule le plus absolu. S’il n’y a rien de dérangeant ni de grotesque à voir dans "La Montagne sacrée" un mage transformer des excréments en or (parce que l’univers bigarré qui encadre le récit en autorise la crédibilité), il y aura en revanche tout de gênant dans "Psychomagie" à entendre le cinéaste évoquer l’importance pour les femmes à peindre avec leur sang menstruel pour saisir la « créativité » de leurs règles – voir la scène en live ajoute encore au malaise. Pour le reste, on tangue ici sans cesse entre le fou rire nerveux et la grimace crispée devant ces pratiques évoquant surtout des rites sectaires supra-teubés. En vrac : une femme se laisse palper le corps par deux individus aussi nus qu’elle, une violoniste joue de son instrument après l’avoir tartiné de son propre sang, un couple marche lentement en pleine rue en traînant chacun une lourde chaîne accrochée au pied (c’est quand même moins joli que dans "Dolls" de Takeshi Kitano), un homme se laisse casser des assiettes sur le torse avant de laisser des vautours s’acharner sur la viande humaine sous laquelle il s’est enterré, un « enfant de 47 ans » joue les hystéros zinzins à Disneyland avant d’être peint en or, un autre type atomise trois citrouilles à coups de marteau avant d’envoyer les restes à sa famille par la poste, le chanteur Arthur H. exorcise ses tourments familiaux en malmenant son piano avant de s’allonger dessus torse nu, etc…
Et Jodorowsky dans tout ça ? Moins un artiste accompli qu’une espèce de gourou zinzin qui profiterait de l’occasion pour se dresser des fleurs (ou laisser les autres le faire), exprimer ses théories sans les justifier par la pratique, et, en définitive, faire passer ses vessies pour des lanternes. Car l’autre gros problème est là : "Psychomagie" ne démontre rien, ne prouve rien, ne filme rien. On peut même dire que l’on doute sans cesse des choix de montage, les expériences filmées et les courts entretiens qui les encadrent obéissant à des principes de mise en scène qui ont moins à voir avec ceux de la captation qu’avec ceux de la reconstitution. Peut-être pour la première fois de sa vie, Jodorowsky a dû se dire que la portée de son art thérapeutique se suffirait à lui-même, alors qu’il a besoin d’être encadré sur grand écran par une narration et un parti pris visuel qui lui seraient profitables. Dans la vérité nue du filmage, on obtient finalement que des gesticulations nonsensiques, du genre à faire le bonheur des bêtisiers de fin d’année ou des vidéos bidonnantes du vidéaste Antoine Daniel. Et surtout, on récolte au passage la déconfiture totale d’un artiste qui semble avoir quitté la stratosphère pour se reconvertir en prophète d’une néo-psychanalyse qu’il rêve capable de changer le monde. Déjà qu’envoyer des messages n’a aucun intérêt au cinéma (on a des facteurs pour ça), se farcir en plus une propagande à la lisière du prosélytisme sectaire, ça nous rend moins apaisés qu’apeurés.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteurBANDE ANNONCE
Film Annonce PSYCHOMAGIE d’Alejandro Jodorowsky – au cinéma le 2 octobre from Nour Films on Vimeo.