Festival Que du feu 2024 encart

BULL

Un film de Annie Silverstein

Chronique poignante d’une amitié improbable

Kris n’a beau avoir que 14 ans, c’est déjà à elle de s’occuper de sa petite sœur et de compenser l’absence de leurs parents. Un soir, elle invite des amis chez son voisin pour y faire la fête et saccager le lieu. Celui-ci, plutôt que de l’envoyer en maison de redressement, décide de la prendre sous son aile. Le début d’une étrange amitié entre deux êtres abîmés…

Bull film image

Les grandes étendues de l’Ouest américain, des cow-boys, des chevaux sauvages, un regard féminin sur un espace profondément lié à la nature, une projection cannoise. On pense immédiatement à "The Rider" de Chloé Zhao. Pourtant, il s’agit ici d’une autre œuvre, tout autant inspirée par la mythologie du pays de l’Oncle Sam, mais peut-être plus complexe, les évidences volant en éclats à chaque fois que le film semble s’inscrire dans une peinture trop caricaturale de son décor. Kris et Abe sont deux voisins que tout oppose. Elle a 14 ans, un peu white trash, la vie devant elle. Lui a passé les 40 ans, est noir et continue à risquer sa vie dans des arènes de rodéo pour pouvoir manger. Pourtant, un jour Kris va vandaliser l’appartement d’Abe. Là où l’histoire aurait dû devenir une affaire judiciaire, le métrage prend une autre direction, celle de l’union entre deux êtres cabossés par l’existence.

Sensible et pudique, "Bull" marie parfaitement l’immensité de ces territoires à des sentiments profondément intimes. Au cœur d’un paysage que les cinéastes américains aiment de plus en plus capturer, entre les rednecks camés et l’échec du système carcéral, les deux protagonistes courent après leur salut. Pas question de rêver de gloire et de paillettes, le duo désirant uniquement avancer, vivre, oublier leur solitude et les tracas devenus normes. Les dialogues se font rares, Annie Silverstein, formée aux documentaires, préférant les regards et les mouvements à toute parole superflue. L’émotion n’en est que plus grande, troublante et enivrante. Si la réalisatrice séduit par sa mise en scène appliquée, la réussite de ce drame attendrissant doit beaucoup aux deux comédiens principaux, Rob Morgan, éternel second rôle (les séries Marvel de Netflix, "Stranger Things", "Mudbound") prouvant qu’il a les épaules suffisamment larges pour porter un projet. Avec plusieurs fulgurances, quelques respirations comiques, une narration parfaitement maîtrisée et un épilogue mystérieux, "Bull" restera comme l’une des propositions les plus intéressantes de cette sélection d’Un Certain Regard 2019.

Christophe BrangéEnvoyer un message au rédacteur

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