FACTORY
Maîtrise et efficacité
En Russie, un patron vient annoncer à ses employés qu’il ne pourra plus les payer et qu’il va bientôt fermer l’usine. Un groupe, mené par un borgne appelé Le Gris, décide de le prendre en otage et de demander une rançon pour s’offrir une retraite dorée. Enfermés dans l’usine, tout aurait pu bien se passer, si la police n’était pas arrivée en même temps que les hommes de main du patron, sensés livrer l’argent…
Au cœur de "Factory" il y a un couple de personnages. Comme dans "The Spy Gone North" de Yoon Jong-bin, deux hommes, chacun dans un camp, se retrouvent ennemis par la force des choses. Le Gris et La Brume se font ainsi face avec respect. Chacun pensant être dans son bon droit. Le premier est un ouvrier luttant avec ses collègues pour une retraite digne et faire tomber un mafieux les ayant exploités toute leur vie. L’autre est un homme de main qui exécute les ordres, en essayant de faire en sorte que tout se passe bien, pour pouvoir rentrer au plus vite auprès de sa femme malade. Mais tous deux vont évoluer, se révéler, et le tour de force de Bykov est de faire que cette évolution soit naturelle, qu’elle serve l’histoire. Rien ne semble plaqué et tout fonctionne parfaitement dans ce scénario très bien huilé, traité avec une grande maîtrise de la mise en scène. Rien n’est gratuit dans le cadre. Tout parle, signifie, symbolise, qualifie : tout participe sans cesse à l’économie de la narration.
Pour ne prendre qu’un seul exemple, il suffit de voir comment les plans de mise en marche de l’usine, qui ressemblent à un générique de téléfilm, sont en fait une construction de l’espace où va se jouer l’essentiel de l’action du film, en plus de donner un corps et un contexte aux hommes que l’on va suivre. La présentation du groupe d’ouvriers fonctionne de la même manière, avec plusieurs niveaux de lecture. S’il semble dans un premier temps un groupe indifférencié, la caméra s’attarde sur quelques visages de sorte que, lorsque le groupe se réunit, le spectateur ne soit pas perdu et que les hommes ne semblent pas sortir de nulle part.
D’ailleurs, ce film est aussi un petit bijou d’écriture et de mise en scène pour ce qui est des personnages. Trois groupes existent dans le film : les ouvriers, les hommes de main et un groupe un peu plus vaste dans lequel on peut mettre les policiers et les intervenants extérieurs. Chaque personne qui a un rôle dans l’histoire a un surnom. Ce procédé, qui peut sembler artificiel de prime abord, est parfaitement intégré à la narration et renforce l’idée de cohésion au sein des groupes en plus de servir de point de repère au spectateur. La force de l’écriture et de la mise en scène réside également dans la mise en place de tous les enjeux et motivations individuels. Chaque membre de l’équipe des hommes de mains est identifiable, idem pour les ouvriers, dont les motivations sont exprimées dans de très courtes séquences dans leur foyer respectifs (séquences qui peuvent sembler gratuites mais qui serviront plus tard dans la narration et renforceront encore une fois la cohérence de celle-ci).
Sans jamais paraître didactique ou prévisible, ce film navigue entre les genres avec une photographie et un casting très soignés. Bykov prend son spectateur au sérieux et croit en son intelligence, il lui donne plein d’information sans lui expliquer pourquoi et ensuite ne cesse de faire des rappels et de structurer son récit. La séquence de chasse à l’homme est un peu plus faible en raison, non pas de la mise en scène, qui est extrêmement haletante, mais du fait que l’action se déplace dans l’usine, en un lieu qui n’a pas été présenté au spectateur. Dès lors les cadres, le déroulé de l’action et les menaces potentielles deviennent un peu plus compliquées à suivre, sans pour autant que l’action ne perde rien de son efficacité. Un tout petit défaut dans un film d’une très grande intelligence, très incarné, terriblement efficace, tout en restant très intuitif et très plaisant. Un thriller politique hybride très très réussi.
Thomas ChapelleEnvoyer un message au rédacteur