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"BREAKING THE WAVES" SUR SCÈNE
Le film "Breaking the Waves" est adapté sur scène en français, 15 ans après sa création au théâtre à Oslo. Que vaut cette adaptation ?
Grand Prix du jury à Cannes en 1996, Prix européen du meilleur film et de la meilleure actrice la même année, César du meilleur film étranger en 1997… "Breaking the Waves", quatrième long métrage de Lars von Trier, est le film qui accéléré la reconnaissance internationale du cinéaste danois. Vivian Nielsen en a tiré une adaptation théâtrale, jouée dès 2004 à Oslo puis traduite en plusieurs langues. La comédienne et metteuse en scène luxembourgeoise Myriam Muller s’est emparé de cette pièce pour proposer une version française, dont la première a eu lieu le 1er février 2019 au Grand Théâtre de la Ville de Luxembourg.
Une adaptation fidèle…
Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette adaptation ne trahit pas l’œuvre originale. Il faut dire que le cinéma de Lars von Trier est intrinsèquement théâtral pour bien des aspects, et le réalisateur a même tiré le rapprochement cinéma/théâtre à l’extrême dans ses films "Dogville" et "Manderlay". On retrouve donc à peu près tous les éléments de son film de 1996, de la trame générale aux principaux ressorts dramatiques en passant par la psychologie des personnages, l’oppression sociale et religieuse, la notion de sacrifice, ou encore le chapitrage explicite (une constante chez le cinéaste danois). Les comédiens et comédiennes se réapproprient les protagonistes avec un jeu maîtrisé et n’ont pas à rougir de la comparaison possible avec les interprètes d’origine.
L’argument est donc le même que le scénario original : la jeune Bess (interprétée avec brio par Chloé Winkel) vit au nord de l’Écosse dans les années 1970, au sein d’une communauté rurale régie par des traditions religieuses rigoristes. Malgré les réticences, elle obtient le droit de se marier avec Jan (Jules Werner, lui aussi à la hauteur), un « étranger » qui travaille sur la plate-forme pétrolière voisine, mais leur bonheur est de courte durée car un accident professionnel paralyse Jan.
…parfois presque trop fidèle !
Cette fidélité produit un contre-effet : cette proposition scénique est presque trop conforme au film pour être pleinement intéressante. À trop vouloir calquer le style de Lars von Trier, la pièce peut sembler parfois vaine, au sens où elle risque constamment de n’être qu’un pâle reflet du film, bien qu’elle parvienne à en retransmettre la force tragique. C’est bien là le paradoxe de cette adaptation : elle est efficace et objectivement de qualité, mais elle ne parvient que partiellement à créer son propre style. Il y a donc fort à parier qu’elle provoque plus d’effets sur un public qui n’a pas vu le film – ou même, mieux, sur celui qui n’est pas familier du tout avec la filmographie de Lars von Trier.
L’utilisation omniprésente la vidéo, avec un écran de projection en fond de scène, participe beaucoup à cette impression de reproduction du long métrage, y compris dans son esthétique un peu « crado » et dans le recours à la caméra à l’épaule. Le théâtre contemporain a pris l’habitude d’avoir recours à ce type de dispositif, au point qu’il en devienne presque automatique et quasi banal, et donne quelquefois le sentiment d’un artifice vide de sens. Ici, la présence explicite du caméraman sur scène n’est pertinente que lors de quelques passages, comme le mariage ou l’anniversaire. En-dehors de ces moments, ce technicien gêne plus qu’autre chose et souligne la facticité de la mise en scène. Certes, on sait que c’est du théâtre, mais cela vaut-il la peine de le rappeler de façon aussi frontale aux spectateurs au risque que ceux-ci se détachent du cadre diégétique ?
Une mise en scène tout de même efficace et inventive
Toutefois, la mise en scène fait preuve de plus d’inventivité dans l’utilisation de la salle et du fond de scène. Les quelques fragments joués parmi les rangées de fauteuils permettent d’éclater l’espace scénique bien plus que ne le fait l’écran, et provoquent une perturbation dynamique et efficace, notamment quand deux interprètes miment à distance leurs ébats sexuels au beau milieu du public. On s’approche là de la transgression chère à Lars von Trier sans pour autant calquer les idées du cinéaste. Remarquons au passage que les interprètes ne se ménagent pas pour reproduire en partie les scènes de nudité ou de sexualité qui ont pu heurter dans le film, bien qu’étant proposées avec moins de provocation et plus de pudeur que dans le long métrage. L’instant où Bess aguiche un passager dans un bus est par ailleurs un des rares moments où l’apport de la vidéo est bénéfique, d’une part parce que l’obscurité de la salle rend le caméraman moins visible, d’autre part car cela crée du mouvement et de la distance, qui n’auraient pas été aussi marqués en jouant sur le plateau. Quant au fond de scène, un système de vitres tantôt translucides tantôt opaques, visuellement impressionnant, transforme l’espace en permanence et apporte une certaine énergie bénéfique à la dramatisation.
Notons aussi un choix radical de la mise en scène, qui s’avère à la fois intéressant et perturbant : le milieu de la scène n’est guère occupé sur l’ensemble de la représentation. Les personnages gravitent autour de ce quasi-vide : sur les côtés, dans les coulisses en partie visibles, dans le fond de scène précédemment décrit, au-dessus de la scène grâce à l’écran, et entre les rangées de sièges. La faible exploitation de l’espace central du plateau a quelque chose de déstabilisant pour le public qui peut rester perplexe face à ce choix, mais il ne manque toutefois pas de pertinence. Il est possible, par exemple, d’y voir un symbole de l’absence de liberté dans cette société rongée par une morale conservatrice et rétrograde, donc de la nécessité de rester dans les marges pour éviter le regard jugeant de la communauté et la pression sociale. Au final, si la mise en scène ne convainc pas totalement, elle fait preuve de suffisamment d’intensité et d’idées pour que la pièce soit globalement une réussite.
Fiche technique :
Texte de Vivian Nielsen, d’après le scénario de Lars von Trier, David Pirie et Peter Asmussen, traduit en français par Dominique Hollier.
Mise en scène de Myriam Muller.
Interprétation originale (version francophone) : Chloé Winkel Jules Werner, Louis Bonnet, Mathieu Besnard, Olivier Foubert, Brice Montagne, Valéry Plancke, Clotilde Ramondou, Brigitte Urhausen.
Production : Les Théâtres de la Ville de Luxembourg.