LAGAAN
La gagne ou lagaan !
Rares sont les films de Bollywood (les « vrais », pas les films d’auteur) à bénéficier d’une exploitation digne de ce nom dans les pays occidentaux. "Lagaan" fait partie de ces exceptions (avec même une nomination à l’Oscar à la clé), sans doute parce qu’il comporte moins d’excès de kitschitude que la plupart des blockbusters indiens et que le scénario demande moins d’expertise sur la culture indienne, rendant l’histoire plus facilement digeste. On n’échappe toutefois pas au surplus de durée et à un certain mélange d’ennui et de sourires en coin (les échanges de regard à n’en plus finir, les trop longues séquences chorégraphiées, les nombreux ressassements, les plans de silhouettes devant le soleil ou la lune…), au manque cruel de suspense (tout, ou presque, est téléphoné et prévisible) ou encore aux personnages archétypaux (du super-héros au grand cœur au méchant sadique et hautain, en passant par le traître en quête de rachat, l’amoureuse jalouse, l’idiot du village ou encore l’être méprisé qui s’avère finalement utile à la collectivité).
Ajoutons à cela une mise en scène parfois extraordinaire de nanardise, comme l’incroyable capacité de l’Anglaise à maîtriser l’hindi en quelques jours (ça fait rêver !), ou l’étrange choix de faire appel à un narrateur à grosse voix (Amitabh Bachchan) pour expliquer dans cette même langue certaines séquences pourtant dialoguées en anglais et auto-suffisantes (comme d’autres séquences en anglais ne sont pas doublées ainsi, cela n’a strictement aucune pertinence). Au début, on flirte aussi avec le manichéisme, avec la création d’un héros national totalement fictif et un peu trop irréprochable. Certes, le contexte d’occupation coloniale rend le patriotisme pertinent, mais certaines séquences semblent faire preuve d’une vision assez simpliste, comme l’assimilation du gentil Bhuvan au végétarisme et du méchant capitaine Russell au loisir violent de la chasse (plus balourd, tu meurs). Heureusement, le discours gagne ensuite en nuance, notamment avec les personnages d’Elizabeth ou de Kachra l’intouchable, qui montrent explicitement que l’origine d’une personne ne détermine pas sa valeur (ouf !). La solidarité entre les différentes composantes religieuses de la société indienne participe aussi à délivrer un message finalement moins caricatural qu’il ne l’était en apparence dans la première partie du film.
Du point de vue de la dramaturgie, même si l’essentiel est prévisible, on finit quand même par s’attacher aux personnages, pour peu qu’on fasse preuve d’un minimum d’empathie, et par se laisser prendre au jeu, dans tous les sens du terme. Bien que le cricket ne soit guère connu des Français, ce film permet étonnamment de mieux comprendre ce sport pourtant complexe, et la longue partie qui concerne le match (plus d’une heure !) permet de réinvestir les codes habituels du film de confrontation sportive à enjeu impossible ! Tout est écrit d’avance, mais l’ensemble finit par être plaisant, et on en vient à partager la joie finale des protagonistes !
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur