SANTIAGO, ITALIA
« Je ne suis pas impartial »
Nanni Moretti revient sur le coup d’état chilien du 11 septembre 1973 et ses répercussions sur les populations. Il évoque ce sujet avec les militants survivants qui ont pu trouver refuge dans l’ambassade d’Italie de Santiago et obtenir leur expatriation vers le vieux contient…
Cette phrase, qui apparaît dès la bande-annonce, mais sortie de son contexte, est adressée à un prisonnier. L’homme est un ancien militaire, aujourd’hui en prison. Il a participé à la torture et à la traque des opposants du régime de Pinochet, les « agitateurs » du groupe MIR. Il se déclare innocent face à la caméra. Il se pose même en tant que victime après avoir reconnu les crimes qu’il a commis au nom de l’armée et après avoir soutenu que Salvador Allende, le président élu du Chili à l’époque du coup d’état, mort sous les bombardements de l’armée, avait enfreint la constitution.
Fort d’un vrai talent d’orateur, l’homme finit par s’emmêler les pinceaux quand il comprend que le réalisateur italien n’est pas là pour faire un documentaire sur lui et que les images qu’il est en train de saisir ne seront pas en sa faveur. Après une coupe, les deux hommes sont debouts côte à côte et on apprend que si l’homme avait accepté cette interview, c’est parce qu’il lui avait été dit que les questions seraient impartiales. Avec un sourire, Nanni Moretti répond : « Moi, je ne suis pas impartial ».
Cette scène qui arrive à peu près au milieu du documentaire, constitue une bonne entrée en matière pour cette épisode assez méconnu en Europe de l’arrivée au pouvoir de Pinochet. Nanni Moretti aborde la grande Histoire par le prisme de la petite. En retrouvant d’anciens militants, hommes et femmes devenus artistes, ou entrepreneurs, mais aussi de simples chiliens aujourd’hui expatriés en Italie, il s’attache à comprendre un évènement singulier : le rôle de l’ambassade d’Italie à Santiago pendant cette période trouble.
En effet, pourquoi l’Italie, quel rôle ce pays a-t-il joué dans cette crise se déroulant de l’autre côté du monde ? Une réponse : dans les premiers temps de la dictature pinochetiste, l’une des seules ambassades restées ouverte à Santiago était celle d’Italie et détail pittoresque, son mur d’enceinte était très bas. De nombreux chiliens politisés ont donc pu sauter le mur et se retrouver protégés.
Et l’intention politique se fait de plus en plus visible. En sous main, au gré des témoignages tous plus poignants les uns que les autres, ou souvent les larmes viennent stopper le discours, Nanni Morreti oriente ses questions pour que le dernier témoignage soit directement en réaction à la politique italienne contemporaine. Le parallèle entre le mouvement Cinq Étoiles avec sa politique migratoire et Pinochet est osé, mais bien réel, et dans le texte.
"Santiago, Italia" est un documentaire important, riche d’images d’archives et de témoignages trop peu entendus sur cette période très sombre de l’Histoire contemporaine. Histoire dans laquelle un voisin du Nord, effrayé par le socialisme des dirigeants du Sud, les à fait tomber un à un.
Thomas ChapelleEnvoyer un message au rédacteur