KABULLYWOOD
La culture est un refuge vital
Frustrée par le manque de culture à Kaboul après un attentat ayant détruit le dernier bar digne de ce nom, la jeune Shab propose à trois amis étudiants de créer un lieu permettant de donner un nouveau souffle à la jeunesse afghane en leur proposant des concerts, des spectacles ou des films. Parmi les trois jeunes hommes, Sikandar est plus réticent, mais son amour pour Shab le pousse à s’engager dans ce projet fou…
On pourrait dire que "Kabullywood" est à l’Afghanistan ce que "Los Hongos" était à la Colombie : une œuvre hybride (ni vraie fiction, ni faux documentaire) qui suit l’élan d’une jeunesse assoiffée de culture et en quête de sens dans un pays qui a connu trop de conflits et de souffrances. Dans les deux films, on assiste aussi à un véritable projet artistique, quasiment en « temps réel » : une grande fresque de street art dans le film colombien et la rénovation d’un cinéma dans ce long métrage franco-afghan. Dans le cas présent, il s’agit d’un projet au long court et de l’aboutissement d’un parcours cohérent pour son réalisateur, Louis Meunier, parti pour la première fois en Afghanistan en 2002 dans un contexte humanitaire post-taliban et qui n’a cessé d’y retourner depuis, parcourant ce pays et plus largement l’Asie centrale, écrivant et réalisant des documentaires sur les peuples locaux et leurs cultures…
Le projet fou de réouverture d’un vieux cinéma de Kaboul n’est pas qu’un simple sujet imaginaire, et c’est tout ce qui donne la valeur à "Kabullywood" : le tournage et la réelle rénovation du cinéma Aryub par l’équipe (avec une véritable envie d’inaugurer un centre culturel pérenne pour la suite) ont connu tant d’obstacles (menaces, attentats, incendie, problèmes d’autorisations…) que la fiction et la réalité se sont entremêlées comme rarement dans un film. On pardonne aisément l’interprétation et la mise en scène, qui flirtent quelquefois avec un certain amateurisme (notamment le personnage du frère et la scène de poursuite), car là n’est pas l’essentiel – et les défauts s’expliquent aussi par le budget et les conditions de tournage ayant nécessité une constante réécriture. Ce long métrage est un vibrant cri d’espoir et d’humanisme face à la barbarie et l’obscurantisme religieux. Un cri d’urgence aussi, pour appeler l’Occident à ne pas oublier ces peuples que l’on aide trop ponctuellement ou de façon trop intéressée. Un cri de joie malgré tout, pour montrer également un autre visage de l’Afghanistan, que les médias et œuvres en tout genre traitent généralement sous le seul prisme du drame et de la tristesse, comme si l’avenir était inéluctablement sombre.
Les comédiens sont manifestement portés par leur enthousiasme et leur propre envie de vivre et de créer librement. Mieux encore, un des protagonistes n’est pas qu’un personnage : Naser Nahimi est le véritable projectionniste et gardien de ce cinéma abandonné (à qui Meunier a également consacré un documentaire intitulé "Kabul Cinema"), et on sent la passion, l’émotion et la générosité transpirer à chaque plan où il apparaît. Enfin, pour couronner le tout, il convient de saluer la bande-son signée par le groupe français Orange Blossom, qui sait si bien rendre moderne la chaleur de la musique orientale. Que vive la culture, pour que vivent les peuples !
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur