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COMME SI DE RIEN N’ÉTAIT

Un film de Eva Trobisch

La violence ordinaire

Janne a été violée. Même si elle ne le dit pas et que le mot n’est jamais prononcé, elle a bien été violée par son ancien camarade de classe qui se retrouve aujourd’hui être son collègue. Si elle ne l’avoue pas aux autres, se l’avoue-t-elle à elle même ?

Comme si de rien n'était film image

"Comme si de rien n’était" travaille très intelligemment la question de la violence ordinaire faite aux femmes. Janne est une femme forte, libre et indépendante, physique et intelligente. Elle ne ressemble en rien à une victime, elle porte sa sexualité et sa féminité fièrement. Mais cela n’arrive pas qu’aux autres. C’est cette problématique qui est au cœur du film et de la protagoniste.

En effet, s’il est clair pour le spectateur que Janne est victime d’un viol, ce n’est pas le cas pour elle-même. Ce n’est pas possible, ça ne peut pas lui arriver, pas à elle. Elle est trop forte. Mais que s’est-il donc passé et que faire ? La seule fois où elle ne fait que mentionner ce qui s’est passé, à sa mère, elle ment, ne pouvant pas supporter d’être considérée comme une victime.

Le point de vue est ici totalement inédit, car il s’agit de questionner l’image de la victime, son modèle type et son statut social. Janne refuse de se voir en tant que victime. Ce n’est pas tant le viol qu’elle refuse de reconnaître, mais le fait que ça lui soit arrivé à elle. Malgré tout ce qu’elle est.

Le fait qu’elle soit confrontée à son agresseur sur son lieu de travail, un agresseur que tout le monde semble trouver, soit inoffensif, soit appréciable, participe à son mal-être et à son silence. Son attitude, pleine de sollicitude et de remords, la torture. Il n’est pas détestable. Ce n’est pas un homme violent, abusif, dominateur et pourtant il l’a fait. Aucun d’eux n’est un archétype, alors que s’est-il passé ?

La mise en scène n’est pas incroyable. La lumière est assez fade, mais quelques idées tirent tout de même le film vers le haut. Janne est souvent isolée, soit par le cadrage, soit par la courte distance focale. La performance de Aenne Schwarz prend aux tripes et révèle ici une très grande actrice du quotidien, une femme à la fois forte, assumant sa féminité et son désir, et une femme justement blessée dans ces domaines qu’elle portait fièrement. Un acte, de quelques secondes, vient lui enlever tout cela. Le potentiel destructeur de l’acte en lui-même et du silence qui le suit. Surtout quand du comportement de l’agresseur émerge un syndrome de Stockholm.

"Comme si de rien n’était" est un film à voir de concert avec "Grâce à Dieu", de François Ozon, qui s’intéresse à un autre type de victimes, également réticente et même résistantes à se déclarer comme telles en raison de l’image qu’elles ont des « victimes » : « Je ne m’identifie pas à eux, je ne suis pas comme ça et ce n’est pas ça que j’ai vécu », d’une part. Mais aussi, « je ne veux pas que ce soit écrit victime sur ma tête pour toujours et susciter la pitié et la compassion des gens ».

Thomas ChapelleEnvoyer un message au rédacteur

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