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Festival de Venise 2011 : Jour 5 – Michael Fassbender au sommet de son art et Emmanuel Crialese défenseur d'un retour à la moralité en matière d'immigration
Dimanche 04 septembre 2011
Ce dimanche s'annonçait éclectique et il l'a été. Le festival a saisi l'occasion d'un hommage à Al Pacino qui présente, comme réalisateur, pour montrer son nouveau docu-journal, « Wilde Salome ». Le film en compétition côté semaine de la critique traitait de l'évacuation tardive de la ville de Pripyat suite à l'explosion de Chernobyl « La terre outragée ». Enfin la section Controcampo Italiano offrait à voir une bizarrerie intitulée « L'arrivo de Wang », dans laquelle une interprète entre italien et chinois, acceptait un mystérieux travail de traduction, rencontrant ainsi Wang... un extra-terrestre.
« Shame », le film par lequel le scandale arrive
Nouveau film en compétition à diviser spectateurs et critiques, « Shame », la seconde réalisation de l'anglais Steve McQueen (dont le premier film « Hunger » avait reçu la caméra d'or à Cannes) traite des obsessions d'un homme, enfermé dans une vision du sexe intimement liée au porno. Maniant avec délicatesse la suggestion (la confiscation d'un ordinateur plein de « virus », une branlette sous la douche...), sans jamais rien montrer du plus glauque de la vie du personnage, le réalisateur réussit à faire monter la pression autour de lui, jusqu'à une libération finale, éjaculation forcée au sens propre comme figuré, lorsque celui-ci se laisse aller à ses plus obscures pulsions.
Incapable d'avoir une relation normale, une sexualité dans la douceur (il confesse lors d'un rendez-vous galant que sa relation la plus longue dura à peine quatre mois...), cet homme dans la trentaine, interprété par un Michael Fassbender n'envisage la sexualité que forcément débridée. Le scénario se concentre sur ses tentatives pour mener une vie normale, l'homme donnant parfaitement le change au quotidien. Intelligemment, il paraît durant une bonne partie de l'histoire, bien plus équilibré que sa fragile sœur (Carey Mulligan), incapable également de tenir une relation sur la longueur, hésitant entre relations éphémères d'un soir (avec le boss de frères, ce qui ne manque pas d'être une mauvaise idée) et pulsions dépendantes. Au final, Steve Mc Queen, après avoir un instant laissé son personnage sortir la tête de l'eau, nous entraîne avec lui dans une implacable descente aux enfers, portée par une mise en scène sensorielle. Magistral.
Emanuele Crialese partisan d'un retour à la moralité en matière de politique d'immigration
« Terraferma » de Emanuele Crialese est le premier des trois films italiens présentés en compétition et fait office de fable sicilienne ensoleillée sur l'immigration et l'évolution du monde. Une veuve décide d'aller contre l'avis de son beau père et de son fils, tous deux pêcheurs, en utilisant un dernier été le bateau de son défunt mari pour transporter des touristes pendant l'été, avant de le vendre, l'automne arrivé. Elle retape également la maison de famille, pour la louer, et s'installe avec sa famille dans le garage voisin. Ne vous y trompez pas, « Terraferma » est moins un récit sur la misère que le constant des changements d'un monde, celui des petits villages de pêcheurs méditerranéens. Mais Crialese (« Respiro », « Golden door ») est loin de s'apitoyer sur le sort de ces gens, préférant s'intéresser à leur caractère entreprenant et positif.
Car dans le fond, son sujet est ailleurs. Lors d'une sortie en mer, le grand père et le fils se retrouvent face à une embarcation pleine d'immigrés africains, dont certains sautent à l'eau dans l'espoir de rejoindre leur bateau. Enjoints par les autorités de rester dans la zone, sans intervenir en quoi que ce soit, ils décident cependant de recueillir les quelques uns qui ont sauté, les ramenant en secret à terre ferme. Le film prend alors une toute autre tournure, à l'image du « Welcome » de Philippe Lioret, affichant les prémices d'un face à face entre une police devenue aveugle et un village où du temps des anciens les décisions se prenaient collectivement. Il devient également l'étendard d'un militantisme engagé, dénonçant des lois scélérates, une police qui joue avec la peur de la prison, et formant au final une société d'irresponsables, qui privilégie une image touristique sans tâches au sauvetage d'êtres humains en mer. Un film résolument engagé.
Un Pacino mineur sur les destin d'Oscar Wilde et sa pièce « Salomé »
Présenté hors compétition à l'occasion de la remise du Glory to the filmmaker award à Al Pacino, « Wilde Salome » (ou Wild(e) Salomé, comme le suggère le générique de début) est un nouveau documentaire-fiction. Qunize en après « Looking for Richard », présenté alors à Cannes à Un certain regard, et qui s'intéressait au montage de la pièce Richard III de Shakespeare, l'acteur réalisateur se met une nouvelle fois en scène, en suivant les répétitions de la pièce, tournant quelques scènes d'un film et construisant un parallèle avec la vie de son auteur : Oscar Wilde.
D'aspect initialement un peu désorganisé et fourre-tout, son film donne de plus en plus de place à la pièce, délaissant progressivement les apartés sur les recherches sur la vie de Wilde (un voyage en Irlande sur les traces de sa famille, un résumé du procès qui lui valu prison et travaux forcés...), pour émettre peu à peu la thèse du film. « Salome », pièce résonne ainsi comme un avertissement, concernant les dangers de la sexualité, représentés ici par l'héroïne (Jessica Chastain – « The tree of life » - l'interprète ici sur scéne), devenant ainsi une œuvre prémonitoire pour Oscar Wilde, puisque c'est son homosexualité qui l'enverra aux travaux forcés. Un film inégal, dans lequel on apprend peu sur l'auteur, mais qui permet de redécouvrir « Salomé » sous un autre angle.
Un sublime noir et blanc venu de l'ancienne Tchécoslovaquie
Une fois n'est pas coutume, le film présenté hors compétition en séance de minuit, n'est ni un film de sabres, ni un film d'horreur, encore moins une histoire de serial-killer. Il s'agit en ce dimanche soir, d'un dessin animé tchèque, en noir et blanc, et intitulé « Alois Nebel », du nom du chef de gare destitué qui en est l'anti-héros. Le film se déroule en 1989 et à donc pour toile de fond la chute du bloc communiste. L'ouverture est efficace, comme celle de « Valse avec Bachir » auquel le film ressemble étrangement dans sa représentation et son animation des personnages (utilisation des ombres, avec seulement deux ou trois niveaux de nuances, fluidité et réalisme des déplacements...), avec la traque d'un homme qui tente de passer la frontière, de nuit. La suite nous contera les déboire d'un chef de gare obsédé par les horaires de trains et son histoire d'amour avec une dame pipi rencontrée à Prague.
Perturbé par un événement survenu en 1945, alors qu'il n'était encore qu'un enfant, Alois Nebel ne semble pas réellement perdre les pédales. Et le scénario nous montrera comment un système peut broyer un homme, par un passage en asile, un emploi perdu au profit d'un incompétent « plus proche du parti », et une bureaucratie incapable de s'intéresser aux problèmes particuliers. Le traitement des décors est impressionnant de précision, valorisant chaque ombre, chaque lumière en déplacement (des phares dans la nuit qui éclairent les contours des arbres, un train qui fait briller des rails...), tout en restant d'ordre schématique, ce qui rend l'image à la fois lugubre et séduisante. Un beau projet, que l'on espère voir trouver le chemin des salles en France.