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ANALYSE : Tandem Martin Scorsese / Leonardo DiCaprio en 5 films, 5 vertiges
Quasiment inséparables depuis 2002, Martin Scorsese et Leonardo DiCaprio incarnent le duo de cinéma le plus prolifique de la dernière décennie. La sortie de leur 5e film, "Le Loup de Wall Street" est l’occasion de revenir sur une collaboration sans fausse note qui en dit long sur ces deux géants du cinéma hollywoodien.
En 2002, sort "Gangs of New York" et marque le début d’une nouvelle ère au cinéma, celle du tandem Scorcese/DiCaprio. À cette époque, Martin Scorsese a déjà vingt longs-métrages derrière lui, dont plusieurs ont laissé une trace indélébile dans le 7e art. Audacieux, novateurs, coups de poing, inoubliables et mythiques : "Taxi Driver", "Raging Bull", "Les Affranchis", "Les Nerfs à vif", "Casino"… Ses monuments ont tous un point commun : Robert De Niro. De 1973 à 1995, il a été l’acteur fétiche du réalisateur, son visage à l’écran symbolise pendant longtemps une rage sourde contenue jusqu’à l’explosion. Après "Casino", Martin Scorsese tourne deux films sans De Niro ("Kundun" et "À tombeau ouvert"), ainsi qu’un documentaire "Mon voyage en Italie". Le tandem ne semble pas vouloir se reformer et Martin Scorsese peine à renouer avec des succès similaires à ces précédents films.
En 1993, c’est Bob De Niro lui-même qui passe le témoin à Leonardo DiCaprio, lorsqu’il le présente à Martin Scorsese. Les deux acteurs viennent de terminer "Blessures secrètes", le jeune Leo n’a pas vingt ans, et vénère déjà Martin Scorsese. Quand ce dernier lui avoue avoir apprécié sa performance dans "Gilbert Grape", DiCaprio est bluffé ! Mais iI lui faudra encore attendre quelques années avant que le réalisateur lui propose un rôle.
Accords parfaits
Au début des années 2000, Léo est devenu « le roi du Monde » ! Depuis "Titanic", il occupe désormais le statut de star planétaire. Reste à l’acteur de bien capitaliser sur un tel succès ! Après trois essais post-Cameron ("L’Homme au masque de fer", "Celebrity" et "La Plage"), DiCaprio sait qu’il peut faire mieux. Armé d’encore une belle notoriété et avant que celle-ci ne s’efface trop vite, il décide de reprendre les rennes de sa carrière et se paie le luxe de choisir qui le dirigera. Forcément le nom de Martin Scorsese s’impose de lui-même. Le réalisateur est en plein montage de son prochain projet : une fresque grandiose sur les premières guerres des gangs dans le New York du 19e siècle. La Grosse Pomme a souvent inspiré Scorsese et le projet est cohérent avec sa carrière, mais ajouter DiCaprio l’aidera à décrocher les financements pour réaliser le film qu’il souhaite.
"Gangs of New York" n’obtient pas le succès attendu, mais le duo est sur les rails puisqu’il enchaine ensuite deux autres films : "Aviator" et "Les Infiltrés". Ce dernier remportera quatre Oscars, confirmant que Marty n’a rien perdu de sa superbe. A l’instar d’une thérapie, en trois films, Scorsese est reparti sur des projets à la hauteur de son talent et DiCaprio incarne désormais des personnages taillé pour lui.
Déconstruction constructive
Au regard de leurs cinq collaborations, un trait domine : la violence. Habituelle et fréquente dans les premiers films de Scorsese, elle prenait les traits de Robert De Niro pour se déchaîner physiquement. Depuis DiCaprio, la violence est toujours là, mais sourde et invisible. Elle détruit le personnage de l’intérieur. Elle porte les traits du visage juvénile et angélique de Leonardo, puis va se durcir et gagner en maturité au fil des années passées au côté de Scorsese. Une gueule de playboy qu’ils s’amusent tous les deux à casser et tanner film après film.
Ainsi, la violence physique cède la place à la violence psychique, chaque personnage lutte contre un mal de l’esprit qui le dévore. Amsterdam Vallon, le garçon orphelin de "Gangs of New York" est rongé par la vengeance. Howard Hugues dans "Aviator" souffre de troubles obsessionnels compulsifs. Billy Costigan, son personnage de flic dans "Les Infiltrés", perd ses repères et son identité en endossant le rôle d’agent infiltré dans le gang de la mafia locale. Ici, la schizophrénie règne. Accentuée par un choix de casting étonnant : trois acteurs, tous issus de la même génération, tous au coude à coude sur le mercato hollywoodien : Leonardo DiCaprio, Matt Damon, Mark Wahlberg, comme un défi, une chance, offerte à celui qui en tirera le plus gros profit. On pourrait aussi ajouter à cette liste James Badge Dale, abonné aux seconds rôles, mais sans doute le visage le plus vu au cinéma en 2013. A-t-on reproché à Scorsese de trop privilégier DiCaprio ?...
Quatre ans plus tard, dans "Shutter Island", on immerge carrément au cœur de l’univers des soins psychiatriques des années 50, avec un twist final révélant la paranoïa du héros.
En 2013, dans "Le Loup de Wall Street", Leo incarne Jordan Belfort, trader obsédé par l’avidité, ivre de dollars qui sombre dans la débauche sous toutes ses formes. Un névrosé décadent pour parfaire le tableau. De son côté, DiCaprio ne réserve pas ses rôles de torturés mentaux aux seuls films de Scorsese : il est passé maître dans l’art d’incarner les personnages complexes. De l’esclavagiste sadique de "Django Unchained" au directeur du FBI J. Edgar Hoover, le comédien ne cesse de se renouveler, sous la direction des plus grands réalisateurs. Pourtant, malgré un parcours sans faute depuis plus de dix ans, Leonardo DiCaprio est toujours passé à côté de la reconnaissance ultime de ses pairs : remporter la célèbre statuette dorée…
Qu’ils soient sombres ou flamboyants, pourquoi les films de Scorsese figurés par DiCaprio sont-ils toujours vertigineux ? Peut-être parce que, de la quête d’identité du héros à sa tentative de résilience, on réalise finalement qu’on assiste surtout à son autodestruction. Pessimiste, mais grandiose !
Biopics en série
Pour la suite, après "Aviator" et "Le Loup de Wall Street", il se murmure que le tandem Marty-Leo aurait en préparation deux autres biopics, un sur Sinatra et un autre sur Roosevelt. Martin Scorsese regarde aussi du côté des séries TV, après "Broadwalk Empire", il pourrait bien embrayer sur d’autres projets télévisés, comme une série sur l’histoire du Rock 'n' Roll une autre passion dans la vie du réalisateur.
Informations
Ne boudons pas notre plaisir et finissons l’année 2013 dans la débauche du "Loup de Wall Street" ! Véritable antithèse face aux spéculations sur l’avenir du cinéma traditionnel.
Filmographie commune Martin Scorsese / Leonardo DiCaprio
Retrouvez nos critiques :
2002 : "Gangs of New York"
2004 : "Aviator"
2006 : "Les Infiltrés"
2010 : "Shutter Island"
2013 : "Le Loup de Wall Street"
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