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10 CHANSONS ET MUSIQUES DE FILM CULTES
Le cinéma, on adore ça, surtout quand la bande-son est à la hauteur. Il faut reconnaître que la musique influence considérablement notre échelle d’appréciation, allant parfois jusqu’à devenir la plus forte impression laissée par un film. Qui n’a pas été obsédé par une chanson, un air, un thème qui porte si bien l’esprit d’un film et l’intention de son réalisateur ? Plutôt qu'un top 100 des meilleures BOF de tous les temps (ce serait trop facile), nous avons choisi de vous proposer une sélection éclectique de 10 coups de coeur musicaux, qui nous ont fait chavirer. Il y a à boire et à manger, vous allez vous régaler.
À vos écouteurs, et bon visionnage !
"Blow-Up" de Michelangelo Antonioni (1966)
BOF : Herbie Hancock
Plongeons au début des années 60, dans l’atmosphère glamour et terriblement désinvolte de "Blow-Up", le chef d’œuvre de Michelangelo Antonioni (Palme d’or en 1967). Rythmé par une bande-son de Herbie Hancock (ce fut d’ailleurs pour lui la première d’une longue liste), aux accents tantôt jazzy (le thème principal), tantôt blues (la musique sur laquelle le célèbre mannequin Verushka tient la pose), le film d’Antonioni est un concentré des saveurs de l’époque, un voyage immersif dans un monde dominé par l’art et l’attrait de la célébrité. Avec ses morceaux tous aussi puissants les uns que les autres, cette B.O. est indéniablement culte. Pourtant, c’est presque la chanson "Stroll on" des Yardbirds, ancien groupe de rock d’Eric Clapton, qui marquera le plus les esprits. Interprétée dans le film par le groupe lui-même, dans une salle de concert intimiste, elle est à la fois la bande-son et le cœur narratif de la célèbre scène du concert. Gêné par le larsen que dégagent ses enceintes, le guitariste du groupe pète les plombs et détruit sa guitare à mains nues. David Hemmings s’empare du manche puis s’enfuit, poursuivi par une foule de fans hystériques. Tout ça pour jeter ledit objet dans le caniveau, une fois cette course-poursuite de l’absurde terminée…
Sylvia Grandgirard
"Les Demoiselles de Rochefort" de Jacques Demy (1967)
BOF : Michel Legrand
Tout auréolés de leur Palme d’or, reçue en 1964 pour "Les Parapluies de Cherbourg", Jacques Demy et Michel Legrand récidivent deux ans plus tard avec une comédie musicale plus ambitieuse : "Les Demoiselles de Rochefort". Tourné simultanément en français et en anglais, "Les Demoiselles…" allie de jolies romances intimistes avec des chorégraphies dignes des plus grands Musicals américains. Autour des demoiselles, interprétées par Catherine Deneuve et Françoise Dorléac, se trame un chassé-croisé amoureux où chacun trouvera (ou retrouvera) l’amour de sa vie sous le soleil d’un jour d’été. Au fil du récit, les six principaux protagonistes évoqueront l’âme sœur au travers d’une chanson. Chaque couple a sa mélodie propre : celle de Solange et Andy ont pour point commun « Un concerto sublime » composé par ce dernier ; alors que celle de Delphine et Maxence autant que celle d’Yvonne et de Simon ont exactement les mêmes partitions, seules les orchestrations changent. En parallèle, les forains délaissés par les jumelles, offriront des rengaines aux teintes jazzy pour pimenter les chorégraphies. Merveilleusement orchestré, le film virevolte entre dialogues parlés et chantés. Les rimes fusent et Demy se payera même le luxe de tourner toute une scène en Alexandrin. Telles « ces vierges mythique qui hantent les musées et les adolescents », les demoiselles ont marqué plusieurs générations qui, même 45 ans après, ne peuvent se retenir de chanter dès que l’on aborde le signe des gémeaux.
Gaëlle Bouché
"Voyage à deux" de Stanley Donen (1967)
BOF : Henry Mancini
"Two for the Road" fait partie de mes films préférés pour plusieurs raisons. La première, c’est la présence d’une actrice que j’admire particulièrement, Audrey Hepburn. C’est un film dont on parle peu quand on évoque l’actrice, et c’est pourtant à mon sens le plus drôle et le plus touchant de sa longue filmographie. C’est aussi après avoir vu ce film que j’ai eu la conviction qu’une femme atteignait son plus bel âge à 40 ans : Audrey a dans ce film 38 ans et ne m’est jamais apparu plus rayonnante. Le charme fou de cette histoire d’amour tient aussi au couple qu’elle forme avec Albert Finney, à la réalisation tout en finesse de Stanley Donen ("Chantons sous la pluie") et bien sûr à la musique d’Henry Mancini. Le thème principal, empreint d’une douce mélancolie, m’a tellement plu que je l’utilise comme réveil depuis des années, et croyez-moi sur parole, il n’y a pas mieux pour commencer la journée en douceur…C’est d’ailleurs une belle histoire, celle de l’actrice et du compositeur qui a mis en musique quatre de ses films. Il suffit d’en juger par les paroles d’Henry Mancini : « I have come to feel that Audrey was my good luck charm. Because of her I approached each of these films as being something very special. The music I wrote for her “had” to be my best. She deserved no less. »
Rémi Geoffroy
"Conan le Barbare" de John Milius (1982)
BOF : Basil Poledouris
De toutes les musiques créées par Basil Poledouris, à qui l’on doit entre autres les scores de trois films de Paul Verhoeven ("La Chair et le Sang", "RoboCop" et "Starship Troopers") ou de "À la poursuite d’Octobre Rouge" de John McTiernan, celle qu’il composa en 1982 pour le chef-d’œuvre de John Milius est sans aucun doute la plus connue, mais également la plus aboutie. Seconde de ses cinq collaborations avec le controversé scénariste/réalisateur, la musique de "Conan le Barbare" est encore aujourd’hui ce monument d’héroïsme et de romantisme, hanté par des cuivres furieux et des violons mystiques ("Atlantean Sword"). Un condensé d’aventure, épique et étrange à la fois ("Theology/Civilisation"), qui culmine en deux morceaux totalement hallucinants, accompagnant par la mélodie le parcours de son barbare de héros : le sensuel "The Orgy" et le déchirant "Funeral Pyre". Une symphonie comme le cinéma n’en a plus jamais connu, et la démonstration par la force d’une alliance parfaite entre les images et le son. Crom !
Frédéric Wullschleger
"L’Étrange Noël de Monsieur Jack" de Henry Selick (1993)
BOF : Danny Elfman
Compositeur attitré de Tim Burton (il est à l’origine des musiques de tous ses films, sauf "Ed Wood" et "Sweeney Todd"), Danny Elfman est sans conteste l’un des créateurs de B.O. les plus talentueux et productifs de ces trente dernières années. Pour "L’Étrange Noël de Monsieur Jack", non pas réalisé mais écrit et produit par Burton, le compositeur a concocté une bande-son en parfaite osmose avec son matériau cinématographique, à savoir incarnée, enchanteresse, fantasmagorique, et dans le plus pur esprit des contes d’Halloween. Du pur concentré burtonien ! Parmi les titres que l’on fredonnera inlassablement : "This is Halloween", chorale portée par les personnages du monde de Jack lors de la scène d’exposition, "What’s This ?", chanté par un Jack extasié qui, après avoir poussé la porte d’un tronc d’arbre, se trouve propulsé dans le merveilleux monde de Noël, et "Jack’s Lament", ballade terriblement mélancolique exprimant la lassitude du protagoniste face à sa morne routine (attention chair de poule garantie !). Danny Elfman, qui interprète lui-même Jack (dans la version originale of course), y révèle une voix à la beauté insoupçonnée.
Sylvia Grandgirard
"Trainspotting" de Danny Boyle (1996)
BOF : compilation
"Trainspotting" est indissociable de sa bande originale. Parmi les titres cultissimes, on se souvient surtout de "Lust For Life" en tout début de film, chanson-titre du 2e album d'Iggy Pop sorti en 1977 et co-écrit avec David Bowie. Cette scène d'ouverture est à l’image de tout le film : speed, rock, hors norme et hypnotique ! Rythmée sur les pas d’Ewan McGregor en plein fuite, la batterie rapide de l'intro musicale de "Lust for Life" lance le film. Celle-ci est suffisamment longue pour laisser Renton nous expliquer qu’il préfère se défoncer à l'héro plutôt que suivre la voie rangée d'une vie médiocre. « Choose Life (…) I chose not to choose life : I chose something else ». Puis résonnent les premières paroles et la voix d’Iggy Pop, qui chante sa rage de vivre face aux drogues et à l'alcool. Un message en guise d'avertissement pour Renton et sa bande de camés. Ensuite, le film déroule une bande originale incroyable, véritable paysage sonore du Royaume-Uni, nous faisant traverser les années 70 jusqu'aux années 90 : rock, punk, pop anglaise, dance... Avec, en bonus, quelques notes de Carmen, l’opéra de Bizet, ingrédient-clé dans la tentative de désintox de Renton…. Regroupées en deux volumes, la BOF de "Trainspotting" sera désignée meilleure bande originale lors des Brit Awards 1997. Elle éveillera les oreilles de toute une génération et deviendra un énorme succès commercial, autant que le film.
Loreleï Colin-Moreau
"Luna Papa" de Bakhtiar Khudojnazarov (1999)
BOF : Daler Nasarov
Sans doute le film le plus célèbre de la méconnue cinématographie d'Asie centrale, "Luna Papa", du Tadjik Bakhtiar Khudojnazarov, a souvent été comparé (à raison) à l’œuvre d'Emir Kusturica. Parmi les aspects qui se détachent le plus de cette filiation parfois lourde à porter, il y a la musique. Enregistrée entre la capitale tadjike, Douchanbé, et la ville allemande de Vlotho, cette bande originale est essentiellement composée par un compatriote du réalisateur, Daler Nasarov, qui a également arrangé quelques musiques traditionnelles. L'homogénéité d'ensemble n'empêche pas une certaine variété, en partie due à la volonté de Nasarov d'utiliser à la fois des instruments traditionnels orientaux (comme le rubab, le dotâr ou le doira) et des instruments plus occidentaux (la guitare, le saxophone ou l'accordéon). À l'image du magnifique titre "Loneliness", l'atmosphère poétique et nostalgique doit beaucoup à la prééminence des cordes pincées (et donc au musicien Ikbol Zavkibekov qui interprète la majorité d'entre elles), dont la délicatesse sonne comme une invitation au voyage ou à la contemplation, avec l'appui des percussions comme dans "Quiet Soul" et "Girl From The Village", ou l'apport de la flûte dans "Only Song" et "Fading Desire". Le très court "Alik", sifflé par le compositeur, ajoute à cela un côté western triste. D'autres titres, comme "Father" et sa composition jazzy déstructurée ou B"edor Schaw" et son chant répétitif, apportent aussi un aspect plus inquiétant et mystérieux. Tendrement lunatique.
Raphaël Jullien
"In the Mood for Love" de Wong Kar-Wai (2000)
BOF : Michael Galasso et Shigeru Umebayashi
"In the Mood for Love" est l’un des films incontournables du réalisateur Wong Kar-Wai. À Hong Kong, deux couples emménagent le même jour dans des appartements mitoyens. Après quelque temps, M. Chow et Mme Chan s’aperçoivent que leur épouse et mari respectifs ont une liaison ensemble. De cette découverte naît leur rapprochement, une relation tout en retenue où l’abandon est impossible. C’est dans ce contexte de désir non consommé que le thème "Yumeji", composé par Shigeru Umebayashi, accompagne la rencontre quotidienne de Mme Chan et de M. Chow. Après leur longue journée de travail, Mme Chan descend chercher son repas et c’est toujours dans cette même ruelle qu’ils se croisent. La mélancolie que porte ce thème, son rythme, la répétition des phrases musicales, c’est la répétition de leurs rencontres : quelques mots échangés, un regard et chacun reprend sa route. Leur amour suggéré par la mélodie a quelque chose de beau et de terrible à la fois puisqu’insaisissable dans ses non-dits.
Anne-Claire Jaulin
"Gladiator" de Ridley Scott (2000)
BOF : Hans Zimmer
Attention : spoiler !
Si mon cœur balance en matière de B.O.F entre "La Leçon de piano" de Mickael Niman, et l’aérien "Rangoon" de Hans Zimmer, c’est à la chanson de fin de "Gladiator" que j’ai choisi de consacrer ces quelques lignes. Correspondant au climax dramatique du film aux 5 Oscars de Ridley Scott, cette chanson vous emporte en même temps que le héros vers la mort. Russel Crowe, qui interprète le Général Maximus, dont l’empereur Marcus Aurelius voulait faire son successeur, a été trahi par le fils de ce dernier, Commodus (Joaquin Phoenix). Laissé pour mort, il devient esclave, puis gladiateur, gagnant peu à peu le cœur des Romains, avant d’être de nouveau fait prisonnier par Commodus, pour trahison. Dans la dernière scène du film, la musique aérienne de Zimmer et la douce voix de Lisa Gerrard accompagnent les derniers instants de Maximus qui, dans un combat inégal, réussit à terrasser l’infâme nouvel empereur et demande la libération de ses hommes avant de mourir. Les dernières images de lui le montrent en train de marcher vers sa femme et son fils défunts au travers des champs de blés, caressant les épis : une image récurrente dans le film, traduisant le bonheur perdu de cet homme hors du commun. Dans le dernier plan, alors que l’un de ses hommes enterre deux figures dans le sable de l’arène, la mélodie fait place à un ensemble plus rythmé, mélange de percussions et de chœurs féminins, marquant un final plus optimiste. Le regard empli de tristesse et d’espoir, il envoie à son ami un dernier message en forme de remerciement et d’au revoir : « Now we are free » (« Maintenant nous sommes libres »). Et nous nous reverrons... mais pas tout de suite. « Not yet... not yet ». La vie continue, grâce à lui, mais sans lui.
Olivier Bachelard
"Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain" de Jean-Pierre Jeunet (2001)
BOF : Yann Tiersen
L'anecdote est plutôt connue : Jean-Pierre Jeunet a découvert la musique de Yann Tiersen un peu par hasard lorsque, vers la fin du tournage, une stagiaire écoutait un CD dans l'autoradio de la voiture qu'elle conduisait pour venir chercher le réalisateur. Jeunet était immédiatement tombé sous le charme, achetait tous les albums de Tiersen dans la journée et contactait rapidement l'artiste. Celui-ci composait alors pas moins de dix-neuf titres en à peine deux semaines, tout en permettant à Jeunet d'utiliser ses précédentes compositions. Au final, un choix casse-tête mais enthousiasmant pour le réalisateur, car tous les titres du musicien fonctionnaient parfaitement avec les images ! L'âme d'Amélie Poulain doit d'ailleurs beaucoup à la musique de Tiersen, tant elle intensifie ce mélange de joie et de mélancolie si caractéristique du film comme du personnage. Entre tradition et modernité, les compositions de Yann Tiersen collent parfaitement à l'atmosphère du film : son esprit enfantin transpire dans l'utilisation du toy piano, celui de Paris dans l'accordéon... Et surtout elles tranchent avec les musiques de film habituelles (absence de violons et de percussions notamment, et plus globalement d'orchestre), ce qui fait de cette bande originale l’une des plus aisément identifiables, notamment les différentes versions du thème "La Valse d'Amélie", devenu le pendant musical de l'expression « fabuleux destin », tous deux repris à tout-va dans les reportages télé dès que le sujet s'y prête. L'identification mutuelle entre un film et sa musique n'est pas un phénomène exceptionnel, mais une telle cohésion entre le titre même d'un film et son thème est plus rare.
Raphaël Jullien