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HUNGER GAMES

Un film de Gary Ross

Les yeux du Cirque

Tous les ans, en guise de Jeux du Cirque, la capitale de la nation de Panem organise les Hunger Games : les douze districts qui environnent le Capitole doivent envoyer chacun deux tributs, un garçon et une fille, qui affronteront les autres sacrifiés dans une arène où le seul objectif est de survivre. Katniss, du 12e district, se porte volontaire pour empêcher le départ de sa jeune sœur ; elle découvre bientôt les règles du terrible jeu, tout en essayant de protéger ceux qui lui sont proches. Mais l’arène n’accepte qu’un seul vainqueur…

C’est l’histoire de l’adaptation, sur grand écran, d’une saga littéraire pour adolescents créée par Suzanne Collins, vendue à 30 millions d’exemplaires à travers le monde – de quoi appâter n’importe quel studio un minimum ambitieux. C’est aussi l’histoire de la franchise qui devrait, en toute logique, détrôner le mythe « Twilight » dont la fin approche à grands pas, au grand dam de ses fidèles enluminés. Avec « Hunger Games », Collins a trouvé la recette miracle : des ados, du romantisme de cour de récréation, de la mythologie, un arrière-plan de cruauté – le tour est joué, la tarte peut être servie. Et elle a exactement le goût pour contenter ces millions de jeunes gens qui auront beau jeu de remplacer leurs tatouages d’Edward et de Bella par les visages de Katniss et Peeta, tout juste un peu moins kitsch.

Le film a été calibré avec exactitude pour convaincre, à coup sûr, le public visé – à tel point que la bande-annonce du dernier volet de « Twilight » a été diffusée avant les projections de « Hunger Games », et que Stephanie Meyer, auteure comblée de la saga vampirique mormone, a déclaré un peu partout sa fascination pour l’œuvre de Collins. Le studio Lionsgate, après avoir un temps imaginé d’embaucher Sam Mendes pour le réaliser, a plutôt opté pour un bien consensuel Gary Ross – qui, comble du mauvais goût, a envoyé aux producteurs une vidéo de ses gamins clamant leur amour du bouquin. Suzanne Collins a elle-même fourni un scénario préliminaire, de façon à contenter au mieux les fans. Quant au choix de l’actrice principale, il n’était pas sans risques, puisque Jennifer Lawrence avait été révélée par l’indépendant « Winter’s Bone » avant de faire joujou avec les mutants dans « X-Men : le commencement ». C’est sans doute la seule audace que l’on puisse attribuer au projet, puisque par ailleurs, le monteur a pris bien soin de retirer du film ses scènes les plus « violentes », afin d’écoper d’une simple interdiction aux moins de douze ans – dont on cherche encore la raison.

Le résultat est un patchwork de kitsch, de guimauve et d’émotions fortes – une sorte de sandwich bien gras, pas désagréable, mais qui nous laisse avec quelques crampes d’estomac. La première heure de présentation, réussie – la nature enveloppante du district 12, la peinture de ses travailleurs couverts de poussière et de ses familles affamées, le kitsch débordant des costumes extravagants portés par les habitants du Capitole – installe progressivement les enjeux des Hunger Games, dont le nom provient du fait que les inscrits pour le tirage au sort sont ceux qui ont eu besoin de rations de nourriture. Les personnages, hauts en couleurs, portent des noms exotiques d’origine romaine : le Seneca joué par Wes Bentley fait penser à Sénèque, la référence du personnage de Caeser / Stanley Tucci est évidente, tandis que Cinna / Lenny Kravitz renvoie peut-être au conspirateur romain, pardonné par l’empereur Auguste et célébré par Corneille dans sa pièce. Et l’adorable frimousse de Jennifer Lawrence, en jeune fille courage et athlétique, championne du tir à l’arc, à la fois rigide comme l’acier et ultra-sensible, confère à ces bobines un indéniable atout charme.

Mais dès lors que le jeu commence, les menus défauts, disséminés ici et là, deviennent éclatants. L’extravagance assumée des marionnettistes du jeu commence à fatiguer à mesure que le scénario égrène des rebondissements nauséabonds (la vraie / fausse péripétie finale est à ce titre franchement nulle), le jeu des comédiens s’avère discutable si l’on excepte Lawrence, et le déroulement, dans ses grandes lignes, est cousu de fil blanc. Quant à l’absence totale de violence visuelle – un paradoxe pour un jeu à mort – elle devient vite un handicap majeur, d’autant que les rares scènes de carnage sont filmées à la va-comme-je-te-pousse, défaut majeur du cinéma contemporain mais avantage lorsqu’il s’agit de donner à voir sans rien montrer, surtout quand on ne veut pas perdre de jeunes spectateurs en route.

Certes, Jennifer Lawrence n’est pas Arnold Schwarzenegger, ni Gary Ross un réalisateur japonais survolté. Néanmoins, nous étions en droit d’attendre de ce « Hunger Games » qu’il soit un mix post-moderne entre le « Running Man » de Paul Michael Glaser et le « Battle Royale » de Kinji Fukasaku, d’autant que les tares dénoncées par ces deux classiques – et par leurs avatars – n’ont cessé de s’aggraver avec le temps. « Hunger Games » n’a rien d’un pamphlet, et c’est dommage. En tentant vaguement de dénoncer les pouvoirs conjoints de la télévision et de l’image médiatique, le film s’en prend en fait aux mêmes défauts qui lui permettent d’exister et de se diffuser – le buzz médiatique – et au jeune public gavé de violence aseptisée et de romantisme dégoulinant qu’il cherche pourtant à attirer. Même la brève velléité de rébellion, réveillée par la mort d’une jeune candidate, est étouffée dans l’œuf par le récit, puis étrangement gommée dans la suite du film ; comme si le long-métrage de Gary Ross renonçait finalement à montrer trop explicitement du doigt ces monstres qui l’ont engendré. On se contentera donc d’apprécier cette histoire sans grande envergure, menée par la performance de sa comédienne. Et on arrêtera d’en demander trop au cinéma pour ados.

Eric NuevoEnvoyer un message au rédacteur

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