Festival Que du feu 2024 encart

INTERVIEW

CHEBA LOUISA

© Wild Bunch Distribution

Accompagnée des actrices Biyouna et Rachida Brakni, Françoise Charpiat est venue défendre son premier long métrage. Dans une ambiance chaleureuse, les trois femmes ont alors évoqué leurs souvenirs de ce joyeux tournage où la musique a occupé une place particulière. Et malgré la rapidité de celui-ci, c’est avec un grand sourire qu’elles se sont remémorées les diverses anecdotes de ces quelques jours…

Journaliste :
Françoise, comment vous est venue cette idée de scénario ?

Françoise Charpiat :
L’idée première était d’évoquer les cabarets. À l’origine, il y a un article de « Libération » qui parlait des Chebas dans des cabarets autour de Paris, ces femmes qui allaient, de manière itinérante, chanter les soirs. J’ai adoré ça, et je ne connaissais pas du tout cet univers, je ne savais pas que les cabarets en Algérie existaient, les cabarets autour de Paris, encore moins ! J’ai alors trouvé cette histoire comme solaire, comme un moyen de raconter les banlieues autrement. J’ai décidé d’aller dans un de ces cabarets, et j’ai adoré. C’est bon enfant, les gens viennent en famille, tout le monde danse, peu importe l’âge. Et c’est de là que j’ai appris qu’Oran était la ville du cabaret en Algérie, et qu’il y aurait eu moins de problèmes au moment de la guerre civile là-bas, parce que cette coutume avait développé une certaine tolérance. C’était beaucoup plus sulfureux à l’époque.

Journaliste :
Vous avez mis longtemps à écrire ce scénario ?

François Charpiat :
Non, très vite ! Mais je voulais parler de la banlieue avec une autre couleur, de la musique aussi, de la culture, des thèmes familiaux. J’ai donc travaillé avec une co-scénariste, parce que je voulais que ce soit juste. Par exemple, pour le personnage de Zohra, je la trouvais lourde cette mère, et Mariem [Hamidat, co-scénariste, ndlr] me rassurait en me disant que c’était vraiment une mère algérienne. Et quand des Algériens ont lu le script, ils m’ont confirmé qu’on ne se trompait pas. J’avais besoin d’une co-scénariste qui maîtrisait cette double culture.

Journaliste :
Et aviez-vous les acteurs en tête au moment de l’écriture ?

Françoise Charpiat :
Rachida est apparue rapidement.

Rachida Brakni :
Oui, moi j’étais super contente car, quand Françoise m’a proposé de faire le film, j’allais sortir mon album, et elle ne le savait pas. Elle ignorait que je chantais. Et j’avais dit que lorsque je sortirai mon album, j’arrêterai le cinéma pour me consacrer entièrement à la musique. Mais quand le film de Françoise est arrivé, j’ai vu l’opportunité de montrer ma passion pour la chanson, et de pouvoir concilier le cinéma et la chanson. Parce que c’est moi qui chante tout, pour de vrai [rires] !

Journaliste :
Justement, Biyouna, on s’attendait à vous entendre chanter…

Biyouna :
[rires] Loupé ! Au contraire, mon personnage ne supporte pas cet univers, mon mari a même dû cacher les CD. Elle a vraiment souffert des absences de sa mère et de sa stature de cheba. Moi, j’ai grandi au milieu de femmes soumises, et quand j’ai vu comment ma mère était soumise, lorsque les hommes mangeaient, puis les enfants, et les femmes en dernier, j’étais toute petite, et pourtant j’ai dit à ma mère que je ne serai jamais comme elle. J’étais la rebelle de la famille. Alors le personnage de Zohra, ce n’est pas Biyouna du tout ! Je suis rentré dans le personnage, parce que j’ai vécu avec ces femmes-là. Et ces femmes deviennent possessives avec leurs enfants, surtout ceux qui sont nés en France. Dans leur tête, ils sont Français, ils veulent habiter seuls, et les mamans ne sont pas toujours favorables. Heureusement, maintenant ces comportements sont en voie de disparition grâce à notre film [rire général]. Mais il existe encore des femmes qui estiment que si la fille doit partir de la maison, c’est pour se marier. Et comme Djemila, elle est pudique avec sa famille, elle ne veut pas les blesser, mais en même temps, elle se sent française.

Françoise Charpiat :
De toute façon, je crois que c’est une grande histoire d’amour entre Djemila et sa mère. Ce n’est pas une histoire de possession et de tradition, si Djemila n’aimait pas sa mère, elle ne s’en soucierait pas autant. C’est véritablement l’amour qui crée cette situation, mais c’est aussi un amour qui détruit, qui rend coupable, elles s’aiment au-delà du raisonnable.

Journaliste :
Comment s’est passé le tournage ?

Rachida Brakni :
Ça a été un tournage rapide en raison d’un souci d’économie. Mais ça a été un tournage très joyeux ! On a beaucoup tourné au Pré-Saint-Gervais, dans une petite cité, et ce qu’il y avait de bien, c’est qu’il y avait vraiment une ambiance familiale. Pour le coup, les gens étaient vraiment impliqués dans le tournage, plein de gens faisaient de la figuration, d’autres étaient à la régie. Il y avait un côté très familial, et le tournage était également joyeux parce qu’Isabelle Carré a un côté anormalement normal, Biyouna est normalement anormale [rires].

Biyouna :
La pauvre Françoise, elle a dû prendre peur…

Françoise Cherpiat :
C’est vrai que c’était très joyeux, on a utilisé plein d’enfants pour la figuration, donc nous avons été accueillies comme à la maison. En plus, on a tourné en décors naturels, l’appartement de Djemila et celui d’Emma sont le même appartement qu’on redécorait. On a tourné très vite. Tourner avec Biyouna, c’est difficile parce qu’il ne faut pas rire, mais ce n’est pas le plus désagréable.

Rachida Brakni :
Par contre, il ne faut pas trop tourner en extérieur, parce que Biyouna, c’est vraiment une rock star. Dès qu’elle sort, les gens crient, demandent des photos…

Françoise Charpiat :
C’est impressionnant ! Mais Rachida et Biyouna avaient très envie de tourner ensemble, donc ça a forcément facilité les choses.

Rachida Brakni :
Biyouna est l’une des seules artistes à fédérer autant. Il suffit de voir les gens qui l’interpellent, il y a toutes les générations, toutes les religions. Et c’est assez troublant, j’ai toujours été assez surprise de voir que les gens, y compris les personnes profondément religieuses, la respectent malgré son franc-parler, sa liberté. Je ne me l’explique pas.

Biyouna :
J’ai été au Théâtre Marigny, et il y avait toutes les races, des femmes voilées, devant qui je fumais sans qu’elles s’en offusquent, parce que je n’ai jamais été hypocrite, et j’ai toujours respecté les gens. Dans mon spectacle, je dis la vérité.

Journaliste :
Le film reposant principalement sur l’alchimie entre les actrices, entre Rachida Brakni et Isabelle Carré, mais également entre Rachida et Biyouna. Comment avez-vous travaillé pour créer ces liens ?

Françoise Charpiat :
On n’avait pas assez de temps pour faire des répétitions. Mais Rachida et Biyouna se connaissent un petit peu d’avant, et elles avaient très envie de travailler ensemble. Et à la première lecture, j’ai été très rassurée car chacune connaissait son rôle, mais également son positionnement par rapport à sa partenaire. Elles avaient déjà le ton juste. Après, c’est principalement un film d’actrices, de jeu, donc il fallait travailler mais l’essentiel était déjà là.

Rachida Brakni :
C’est vrai, et puis il y avait une complicité avec Isabelle Carré avec qui j’avais déjà tourné dans le film de Claire Simon [ndlr : « Les Bureaux de Dieu », 2008 ], mais très peu, nous nous étions à peine croisées. On avait donc super envie de se rencontrer véritablement dans le travail. Et Biyouna, c’est pareil, je l’avais rencontrée, il y a des années, en Algérie. Et il s’est passé immédiatement quelque chose. Et c’est vrai que quand j’ai vu le film, j’ai ressenti ce petit truc. Tout d’un coup, je ne sais plus véritablement quand ce sont les personnages et quand ce sont les actrices. Durant la scène de fin notamment, les regards que nous nous jetons avec Isabelle sont véritablement des regards bienveillants qui dépassent notre rôle. On avait réussi à faire ce qu’il fallait malgré le tournage très court, en une seule prise. Et du coup, cette fin n’était pas entièrement écrite, l’émotion qu’on avait dépassait le cadre du film. Et avec Biyouna, il y avait une véritable complicité qui existait avant le film.

Biyouna :
Rachida m’a épaté ! Elle a fait un énorme travail pour jouer la grand-mère lorsqu’elle est jeune, le chant de la grand-mère était complètement différent de celui de Djemila. Et les scènes concernant cette grand-mère avaient été tournées quelques jours avant le début du tournage du reste du film, et lorsque Françoise m’a montré ces images, j’ai vraiment été impressionnée. Et puis, après le courant est passé entre tout le monde.

Journaliste :
Françoise, pourquoi choisir cette cité qui n’est pas forcément l’image qu’on a de ces lieux ?

François Charpiat :
C’était volontaire, je voulais faire un conte de fée. Il était donc hors de question que je prenne une cité avec ce qu’on a l’habitude de voir, ces cités existent mais celle que j’ai choisie aussi. Et c’est cette cité que je voulais montrer, c’est tout ce que raconte le film : il n’y a pas que ce qu’on voit ou ce qu’on nous raconte, il y aussi des gens, une vie. Je ne connaissais pas cette cité, et c’est ma productrice qui a eu l’idée de nous emmener là-bas, j’ai tout de suite adoré le lieu, d’autant plus qu’il est cinématographique.

Journaliste :
Et pourquoi avoir choisir la grand-mère pour faire le lien ?

Françoise Charpiat :
Pour garder une partie de la magie de cet univers-là, mais ce n’est pas le sujet principal du film. Le thème du film est véritablement l’amitié. Et j’avais aussi un petit espoir de créer une certaine ambiguïté dans la relation entre le père de Djemila et la grand-mère de celle-ci. Mais ce personnage a une influence très importante : c’est parce qu’elle était une Cheba que Zohra a eu une enfance épouvantable et qu’elle est devenue comme elle est, et c’est parce qu’un tabou à propos d’elle a été créé que Djemila agit de la sorte.

Journaliste :
Comment avez-vous travaillé pour la musique qui occupe un rôle essentiel ?

Françoise Charpiat :
Je voulais une musique moderne, mais qui rende également hommage à l’univers des cabarets. À l’exception du travail pour Louisa, on recherchait des sonorités modernes. Et puis, j’adore Rachid Taha, donc je voulais travailler avec lui. Heureusement, il a assez vite accepté, il a d’abord fait des propositions pour la musique du cabaret, et puis comme j’aimais beaucoup, et comme ça se passait bien avec Rachida et Isabelle qu’il coachait pour leurs numéros, je lui ai demandé d’apparaître dans le film et de signer la musique du film. Je voulais que les musiques fassent un peu rock, je ne voulais pas qu’il y ait quelque chose de trop communautaire dans les sonorités.

Journaliste :
Et vous Rachida, c’était un univers musical que vous connaissiez ?

Rachida Brakni :
Oui. Quand j’étais petite, à la maison, ma mère écoutait Mike Brant, Brel et Rémiti. Donc, j’ai grandi avec Rémiti, et j’ai vraiment vu l’évolution de la musique raï. Ma mère me racontait que lorsqu’elle était plus jeune, elle n’avait pas le droit d’écouter Rémiti, parce qu’elle était considérée comme trop sulfureuse. C’est des chansons qui chantent l’amour, le sexe, le plaisir sexuel, il y a des parties très sulfureuses dans les paroles de raï. C’était donc une musique que je connaissais, et j’ai toujours adoré la musique de Rachid Taha également. Pour moi, c’est vraiment l’un des derniers rockeurs, voire punk, en France. Il a vraiment su avec « Rock the Casbah », les Clash, faire entendre la langue arabe différemment. Il a apporté une véritable modernité et un mélange des genres qui m’intéresse. J’adore le rock, donc la musique de Rachid me parle.

Anthony REVOIR Envoyer un message au rédacteur

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