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INTERVIEW

ENTER THE VOID

Journaliste :
Entre sa présentation au festival de Cannes et la version définitive qui sort en salle, quelles ont été les modifications que vous avez apportées à « Soudain le vide »?

Gaspar Noé :
La structure du film n’a pas changé. On a juste retravaillé les transitions q…

© Wild Bunch Distribution

Journaliste :
Entre sa présentation au festival de Cannes et la version définitive qui sort en salle, quelles ont été les modifications que vous avez apportées à "Soudain le vide"?

Gaspar Noé :
La structure du film n'a pas changé. On a juste retravaillé les transitions qui ne fonctionnaient pas, raccourci deux-trois déambulations aériennes, mais rien de vraiment significatif. On a ajouté le générique aussi. Le plus gros travail à été de reprendre les effets visuels, d’améliorer les couleurs, l'étalonnage et surtout, on a refait toute la bande son. Lors de sa présentation, nous avions inséré des musiques dont nous n’avions pas les droits, le mixage s'était fait en trois jours. On ne pensait vraiment pas être sélectionnés pour Cannes. On pensait plus à Berlin l'année suivante. Mais finalement, on a été sélectionnés et du coup, t'as beau être tout nu, à Cannes t'y vas quand même. Il était hors de question, pour mon producteur et pour moi-même, de louper cela. Après, c'est juste frustrant de présenter un produit pas fini. Sa première présentation en version définitive était à Sundance.

Journaliste :
Comment a-t-il été accueilli là-bas?

Gaspar Noé :
Aux Etats-Unis ? Très bien. Ils parlaient tous d'"Avatar" (rires). Ils disaient que c'était "Avatar" pour les adultes. Sérieusement, je pense que ça tombait bien que le film soit sorti juste après "Avatar". De plus, tout le monde va à Cannes pour flinguer ses ennemis. Moi, j'allais souvent voir les films en compèt' pour le plaisir de siffler (rires). T’y vas pour te lâcher avec les gens, acclamer tes amis, tuer tes ennemis. C'était rigolo de le présenter à Cannes, mais aussi toujours évident quand même, car il a reçu plusieurs réactions négatives.
Je pense aussi que, bizarrement, le film correspond plus à une mentalité anglo-saxonne. En Angleterre ou aux Etats-Unis, on est plus ouvert à cette culture de drogues en général, où la plupart des gens que vous rencontrez vont vous parler ouvertement de leurs expériences de champignons et autres…
Et aussi, je pense qu'ils ont apprécié que le film ne soit pas sous-titré là-bas, le public est plus immergé. Quand tu vois un film en vision subjective, t'as pas envie de lire des sous-titres. Or, il va être exploité dans la plupart des pays en VO. J'ai hâte de voir le DVD et la VF finie.

Journaliste :
Vous auriez aimé le tourner en 3D ?

Gaspar Noé :
Déjà, je n'en aurais jamais eu les moyens. Mais en plus, je trouve que la seule partie du film qui aurait pu bénéficié de la 3D est celle en vision subjective. Les flashbacks et les rêves ne s'y prêtent pas. Moi, quand je rêve ou me souviens, ce n'est pas en 3D. Or, je voulais vraiment qu'on se retrouve comme dans le cerveau du personnage. Du coup, on aurait dû demander aux gens de retirer leurs lunettes après vingt minutes de film. Ils auraient fait la gueule…
Aussi, la 3D montre ses limites dans les séquences champs/contre-champs ou en montage dynamique, limites qu'"Avatar", qui est un film que j'aime beaucoup, n'a pas réussi à contourner selon moi. Voir les sous-titres flotter dans un environnement en relief casse aussi l'immersion… Si je devais utiliser la technologie 3D, ce serait certainement pour un film entièrement en vision subjective car elle s'y prête mieux.

Journaliste :
Quel a été votre plus gros défi technique en tournant ce film?

Gaspar Noé :
J'étais très dépendant de l'équipe des effets visuels. Le film reposait autant sur mes épaules que sur celles de Pierre Buffin et de sa société BUF. Par exemple, tous les décors de ville vus du dessus sont faits à partir de plans d'hélicoptères truqués, mélangés avec de la vraie 3D. Ou encore tous ces plans où l'on s'approche d'une source de lumière et qui, d'un coup, se transforment comme un fish-eye, sont des choses que eux savent fabriquer. J'ai une idée de la façon dont ils l'ont fait, mais je serais incapable de le faire moi-même. Au niveau de la prise de vue, le truc qui paraissait le plus compliqué était la vision subjective dans le miroir, avec les mains qui apparaissant devant les yeux, etc.
D'autres plans ont été difficiles à tourner, mais ce ne sont pas des défis techniques. Il s'agit des plans de bébés qui tètent les seins. On s'imagine qu'on va prendre le bébé et qu’il va téter le sein de la comédienne, mais pas du tout. Dès qu'il voit une femme qui n'est pas sa mère, le bébé se met à pleurer. Du coup, on a passé des journées entières avec des bébés qui hurlaient. Au final, on a mis le lait de la vraie mère sur les seins de la comédienne mais même avec ça, ça ne marchait pas. Le seul plan qu'on a finit par pouvoir utiliser, c'est lorsque le bébé s'était endormi. On le réveillait juste avant la prise, le sein devant son visage, mais une minute ou trois secondes après, le bébé se remettait à gueuler. Dans la séquence de l'avion avec cinquante figurants japonais, je ne vous raconte même pas... Ce n’était pas un défit technique, mais un défi humain auquel on ne s'attendait pas.

Journaliste :
Comment s'est faite la collaboration avec Pierre Buffin ?

Gaspar Noé :
Le film repose tellement, tellement sur les effets spéciaux, que je ne sais plus où s'arrête mon travail de réalisateur et où commence celui de l'équipe des effets visuels. Il y avait des parties du film où j'étais totalement dépendant de ce que l'on allait me demander, me proposer, me livrer, que je pourrais commenter, améliorer ou pas. Le film étant tellement atypique. On s'est concentré sur les boîtes de trucages qu'il y avait à Paris. Pierre Buffin est ultra réputé. C'est celui qui a fait les effets visuels de "Fight Club", de "Panic Room", de "2046", plusieurs plans de "Matrix", des modélisations d'"Avatar", dont de nombreux plans de villes qui ont été malheureusement coupés au montage… C'est un sous-marin nucléaire des effets visuels. Quand j'ai vu "2046", je me disais qu’il me fallait des effets comme ceux-là pour mon film. Heureusement, Pierre Buffin est rentré en coproduction, tous ces effets ont pu être réalisés ; mesurer leurs coûts était impossible et, sans sa participation, le film aurait été beaucoup trop cher à produire. Je suis vraiment heureux qu'il ait fait parti de la production, certes pour cette raison, mais surtout pour le résultat. Le travail qu'ils ont fait est magistral et au final, il est beaucoup plus futuriste que ce que j'avais en tête à l'époque.

Journaliste :
On voit aussi Marc Caro au générique du film. Qu'a-t-il apporté au projet ?

Gaspar Noé :
Marc Caro a beaucoup contribué, et c'est une chance pour moi qu'il ait accepté de participer au film. On était au mois d'août et il venait de finir le montage de "Dante 01", qui devait sortir en janvier. Il s'avère que la post-prod était assez catastrophique. Je n'avais toujours pas les comédiens et il fallait que quelqu'un aille diriger le chef déco au Japon. Marc Caro est vraiment un visionnaire et, connaissant son travail extraordinaire sur "La Cité des enfants perdus" ou "Delicatessen", je lui ai donc demandé si ça lui disait d'être superviseur de l'équipe de décoration là-bas. Je crois que l'idée de travailler au Japon et, surtout, de travailler sur tous les décors du Love Hotel, de la boite de nuit, avec les néons etc. l'excitait pas mal.
Du coup, il s'est retrouvé deux semaines avant tout le monde avec l'équipe japonaise, qui lui posait tout un tas de questions auxquelles il ne pouvait pas répondre. Tous les soirs, je recevais une soixantaine de questions par e-mails. Au Japon, ils ont plus l'habitude de préparer tout en avance et sont assez peu familiers avec cette méthode de travail, assez répandue en France, qui repose sur l'idée qu’à la dernière seconde, on va trouver de quoi contourner un imprévu. J'ai cette qualité et en même temps le défaut de tout décider à la dernière minute, ce qui rend un peu fous les assistants réalisateurs, surtout quand ils sont japonais. (rires)

Journaliste :
Pourquoi Tokyo ? Vous avez toujours voulu le tourner à Tokyo ?

Gaspar Noé :
Au départ, je ne savais pas vraiment où j'allais tourner le film, mais je savais qu'il prendrait place dans une grande mégapole. J'ai d'abord pensé naturellement à New York, mais pour des raisons de législation du travail, qui est beaucoup plus stricte que partout ailleurs, j'ai vite dû trouver un autre choix. En fait, le tourner à New York nous aurait pris deux fois plus de temps. J'ai pensé à Paris aussi, mais les producteurs et moi-même voulaient que le film soit distribué à l'international, et j'étais contre la présence de sous-titres. Il fallait donc trouver une mégapole où l'usage de la langue anglaise était répandu. J’ai pensé à Londres évidemment, mais ça n'allait pas non plus à cause de l'accent, qui est plutôt difficile à comprendre.
Au final, j'ai choisi Tokyo qui, en plus de ne pas avoir trop de restrictions en termes d'horaires (là-bas les équipes peuvent travailler 7 jours sur 7 en toute légalité), il s'agit d'une ville très lumineuse et psychédélique la nuit. En plus, il y a vraiment beaucoup de drogue qui circule et la police japonaise est très répressive. Donc, elle collait bien au sujet… Enfin, peut-être aussi parce que c'est l'une des rares villes à avoir conservé ce côté "club hard techno" qui a quasiment disparu à New York, par exemple, où tous les clubs passent de la R&B de cinquième zone.

Journaliste :
Comment s'est passé le tournage là-bas ?

Gaspar Noé :
Bien. Auparavant, beaucoup d'équipes de tournage occidentales se sont cassé les dents à cause des codes culturels, et sont revenues traumatisées. Il y a un code de l'honneur et une relation à la hiérarchie qui très forte au Japon. Par exemple, lorsque j'avais demandé à peindre en rouge le mur et que je revenais le lendemain matin avec un mur rose, il fallait absolument que je mette la forme à mon propos. Ne jamais dire directement les choses, toujours de manière détournée et surtout, ne jamais critiquer le travail de quelqu'un en public, toujours prendre à part. Mais ça va, une équipe bilingue nous a fourni les choses à savoir, les contraintes culturelles et tout cela. Au final, tout s'est bien passé humainement.
Par contre, ce qui fut plus difficile, c'était d'obtenir les autorisations de tournage. Les Japonais son très regardants sur la façon dont est représentée la culture japonaise. Ils n'ont, par exemple, pas aimé le film de Coppola (NDLR "Lost in translation"). Alors quand ils demandaient « mais pourquoi tourner ce film ici? », on leur répondait « ah mais ce n'est pas sur le Japon, on pourrait le tourner n'importe où, mais ici, c'est bien ! » (rires).

Journaliste :
Et comment a-t-il été reçu là-bas?

Gaspar Noé :
Les Japonais ont beaucoup apprécié. Du coup, j'ai demandé à un journaliste si l'image du Japon n'avait pas été ternie, et il m'a répondu qu'il ne donnait pas une mauvaise image du Japon mais des étrangers au Japon. Ce qui n'est pas faux…

Journaliste :
Comment avez-vous découvert le livre des morts tibétains ?

Gaspar Noé :
Lorsque j'avais une dizaine d'années, je me posais beaucoup de questions sur la mort, ce qu'il se passait après la mort, etc. Un peu comme tous les gamins ayant reçu une éducation athée. Quand on a quinze ans, on a envie de croire à une existence parallèle, à une vie après la mort. Je me rappelle, j'avais même fait des exercices respiratoires pour sortir de mon corps comme ça, je me disais que je serais prêt le jour où je devrais affronter la mort, je saurais voler comme un fantôme. Alors, plus ça allait, moins je sentais que ça marchait et à cette époque, j'ai pris pas mal d'hallucinogènes en espérant pouvoir sortir de mon corps. Au final, j'étais bien au fond de ma tête, tout seul… (rires)
On me demande souvent, d'ailleurs, si je crois en la réincarnation. Mais pas du tout. Pour moi, après la mort, il n'y a rien. Ce film n'est pas un film sur la réincarnation. C'est un film sur un jeune qui lit le "Livre des morts" et qui, la journée avant de mourir, fume du DMT. On ne sait pas s'il est mort ou s'il continue à vivre. Il fait juste une hallucination. D'ailleurs, plus on avance dans le film, plus on voit que ses errances ne sont pas réelles. A la fin, il se voit dans l'avion avec sa mère… la séquence du Love Hotel complètement psychédélique, Tokyo qui ressemble de plus en plus à une maquette… C'est un trip.

Journaliste :
Est-ce que les hallucinations du personnage principal ont été inspirées de votre expérience personnelle ?

Gaspar Noé :
Un peu oui. En fait, si j'avais reproduit fidèlement ce que l'on ressent lorsque l'on fume du DMT, ça aurait donné un résultat beaucoup plus hallucinatoire et foutoir. On a une impression de distorsion du temps qui est assez phénoménale. Des trips de six minutes peuvent paraître trois heures et des trips de trois heures peuvent sembler se passer en six minutes. La question, c'était : comme on se place du point de vue mental du personnage, allait-on faire un trip d'une heure à l'écran. La réponse était bien évidement que non, car si au bout de dix minutes de film je collais ce genre de scène pendant une heure, il n'y aurait plus que trois personnes à la fin de la projection.

Journaliste :
Y'a-t-il des films qui vous ont fait ressentir ce que vous aimeriez qu'on ressente en voyant "Enter the Void" ?

Gaspar Noé :
Eh bien, il y a "Au-delà du réel" de Ken Russel, qui m'a donné envie de prendre des champis. "2001 Odyssée de l'espace" qui est, pour moi le plus grand film de l'histoire du cinéma, et que j'ai dû voir une quarantaine de fois. La séquence de la fin avec les lasers dans l'espace me procurent toujours une sensation particulière. Je prends beaucoup de plaisir à la regarder.

Journaliste :
Comment avez-vous pensé le film au moment de l'écriture pour retranscrire tous les souvenirs ?

Gaspar Noé :
Le film est très conceptuel. J'ai pensé au concept il y a très, très longtemps. Dès le départ, j'avais pensé à un film en vision subjective où on le voyait se défoncer et, après un accident, on l'accompagnait dans la projection mentale à la fois de son passé et ce qu'on appelle la "vision astrale", où ce garçon sort de son corps avec des visions vues du dessus. Le scénario n'est pas très compliqué. Il est beaucoup moins alambiqué que celui de "L'Echelle de Jacob" ou celui de "21 grammes". A un moment, je me suis même dis que j'allais déstructurer beaucoup plus la partie flashback, car quand on pense à son passé, ce n’est jamais de manière chronologique. Il s’agit toujours de souvenirs qui rappellent d'autres souvenirs. La manière dont le cerveau fonctionne n'est pas chronologique. Le problème venait du fait que le film était treès difficile à financer à cause de l’aspect drogue et cul, du casting inconnu, que ça allait être tourné au Japon et qu'il y aurait énormément de trucages. C'était un projet extrêmement périlleux. Si, en plus j'avais rajouté une structure narrative beaucoup plus complexe, cela aurait pu définitivement faire fuir les financeurs. Cela dit, il n'est pas exclu que je fasse une version B pour le DVD, comme l'a fait Gondry pour "La Science des rêves" avec les chutes de son film. Il faudrait juste que je prenne un bon mois pour le faire correctement…

Journaliste :
Lorsque l'on regarde votre filmographie, on voit qu'il y a une espèce de changement radical de grammaire cinématographique entre "Seul contre tous" et "Irréversible". Pensez-vous encore changer de style de mise en scène ? Et seriez-vous prêt à faire des films plus conventionnels ?

Gaspar Noé :
Oui. Il est bien possible que je retourne à des cadrages plus classiques comme à l'époque de "Carne" et "Seul contre tous". Ca sera en fonction du sujet du film. "Irréversible" m'a surtout permis d'essayer des techniques de cadrage en vue de les appliquer à "Enter the void". C'est pour cela que les deux films sont très proches. Ma mère me demande souvent quand je ferais un film pour enfant. (rires) Mais ça pourrait bien arriver! Quand j'y réfléchis, "2001" est sûrement mon film culte, parce que je l'ai vu à six ans. Et je l'ai vu à six ans car il était tous publics. D'une manière générale, les films que l'on voit très jeune ont plus tendance à nous marquer et à façonner nos goûts à posteriori. On est plus influençables…
Mais bon, on n’y est pas encore. Pour mon prochain film, j’hésite entre encore entre un documentaire et un film érotique. Cela dépendra des fonds.

Alexandre Romanazzi Envoyer un message au rédacteur

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