INTERVIEW
UN PROPHÈTE
Jacques Audiard
Journaliste:
Vous ne vous êtes jamais imaginé en Corse ?
Niels Arestrup:
Si, si. Quand j’étais ado, il y avait une mythologie des caïds, des gangsters, dont les Corses faisaient partie. Mais au niveau du personnage, j’ai essayé d’avoir le maximum de respect, d’adopter une ryt…
Journaliste:
Vous ne vous êtes jamais imaginé en Corse ?
Niels Arestrup:
Si, si. Quand j'étais ado, il y avait une mythologie des caïds, des gangsters, dont les Corses faisaient partie. Mais au niveau du personnage, j'ai essayé d'avoir le maximum de respect, d'adopter une rythmique de la langue que je ne connaissais pas, ceci sans aplanir le scénario.
Journaliste:
Qu'est-ce qui vous a attiré dans ce scénario justement ?
Reda Kateb (Jordi le Gitan):
Mon personnage, on l'aurait plutôt imaginé espagnol, cliché, à la peau mate. Et on en a fait autre chose. Et puis j'y allais les yeux fermé avec un tel réalisateur. Jacques Audiard, il vient d'ailleurs, il trimbale un "on ne sait quoi" qui relève de l'électron libre.
Hichem Yacoubi (le fantôme):
Au fond, me concernant, ce n'est pas un rôle d'être humain. Travailler sur un fantôme, sans rentrer dans le cliché ou donner dans le ridicule était intéressant. Cela a donné lieu à beaucoup de travail en amont du tournage, pour le rendre crédible.
Journaliste:
Ce n'est en effet pas un fantôme revanchard, comme on pouvait s'y attendre...
Hichem Yacoubi (le fantôme):
C'est un peu l'autre partie de Tahar. C'était un rôle intéressant et casse-gueule à la fois.
Jacques Audiard et Tahar Rahim rejoignent les autres acteurs dans le salon, et prennent part à la conversation.
Journaliste:
Mettre Niels Arestrup avec le statut qu'on lui connaît dans le monde du cinéma, face à un débutant, était-il évident ?
Jacques Audiard:
C'était un parallèle intéressant avec leurs personnages. Oui, vous avez raison. Mais la question ne s'est pas vraiment posée en ces termes-là. J'aime beaucoup la façon qu'a Niels de jouer. Mais dans ce film il ne devait pas y avoir d'acteur connu, sauf donc pour ce personnage du "Capo" déjà imposant.
Journaliste:
Pourquoi avoir choisi de faire un film de genre ?
Jacques Audiard:
Un film de genre appelle la modestie. On s'y reconnaît ou repère rapidement. Il y a le bien et le mal. J'avais envie de faire un petit film aigu, avec des acteurs qui deviendraient des icônes. Et le film de genre est un moyen très démocratique dans le fil du récit, il permet que très vite tout le monde soit à niveau.
Journaliste:
Est-ce qu'au fond votre personnage, en donnant mission à celui de Tahar à l'extérieur, n'avait pas envie qu'il se fasse choper et écope d'une peine plus longue, et reste ainsi avec lui ?
Niels Arestrup:
Non, je ne pense pas. Mon personnage est vieillissant. Il est conscient qu'il ne sortira jamais. Et Tahar lui permet d'avoir une prolongation de son pouvoir à l'extérieur.
Journaliste:
Y-a-t-il eu une préparation spécifique pour vos rôles ?
Reda Kateb (Jordi le Gitan):
Une réflexion vestimentaire oui, avec beaucoup d'essais. Mais la composition de mon apparence a été quelque chose de progressif.
Adel Bencherif (Ryad):
Pour moi, il n'y a pas eu de préparation particulière. C'était un peu un personnage que j'avais déjà connu dans mon entourage. Il y a des gens comme cela qui vont en prison pour rien. Riad n'a pas les épaules pour être en prison. Alors que César, lui, y est chez lui.
Journaliste:
Vous vous attendez à des réactions de la part des Corses ou des gardiens de prisons?
Jacques Audiard:
Oui mais bizarrement, quand Scorsese a fait le Parrain, on ne l'a pas lynché. En France, on est dans un drôle de pays, où les procès moraux de la part des corporations sont pénibles. Pour moi il s'agit juste d'une fiction. Que le récit soit riche, c'est déjà bien. Mais alors arrive le revers inverse quand on nous accuse de "faire aussi bien que les Américains". C'est juste du cinéma de composition. La preuve, l'acteur qui joue un Corse s'appelle "Niels"...
Journaliste:
Avez-vous tourné en décors naturels ou construits ?
Jacques Audiard:
Le décors a été entièrement construit; dans une friche industrielle, en s'inspirant notamment pour la cour de la maison d'arrêt d'Amiens. Le chef décorateur a reconstitué deux à trois couloirs, ainsi qu'une dizaine de cellules. En fait, les seules prisons disponibles pour des tournages sont celles qui ne sont plus en activité, comme par exemple celle d'Avignon. Elles sont certes désaffectées, mais datent de 1800 et il aurait alors fallut faire un film d'époque. Pour le décors, le choix a été fait de cloisons en dur, et non amovibles comme dans la plupart des décors. C'est moins souple, et c'est à l'équipe de s'adapter.
Journaliste:
"Un prophète" semble être votre film le plus lisiblement politique...
Jacques Audiard:
Oui... mais tous les autres aussi sont politiques. Si on fait du cinéma, c'est forcément politique. C'est notamment à l'exclusion de tout le reste, dont la télévision. Un film est coûteux, long et dur à faire. Quand comme ici l'aventure se déroule sur 6 ans, on sait que le film ne fera pas au final seulement 1h20.
Journaliste:
Il y a aussi dans le film une incroyable figuration...
Jacques Audiard:
Les trois quarts des figurants avaient déjà fait de la taule. Ils avaient du génie. Avec le responsable des cascades, ils discutaient, lui proposaient des trucs: "tu veux une châtaigne comment ?". Ils étaient très nombreux, et ils savaient comment en prison on se croise dans les couloirs, comment on joue dans la cour. En fait, je ne savais pas tout de ce qui allait se passer.
Journaliste:
Tahar, vous n'avez pas eu peur de l'énormité du rôle ? Car vous êtes du début jusqu'à la fin du film, en permanence à l'écran.
Tahar Rahim:
Je n'ai pas eu le temps d'avoir peur. Il s'agissait d'abord pour moi de me concentrer pour décrocher le rôle. Puis après de remplir les objectifs de chaque scène individuellement. J'avais juste peur d'être regardé, et de ne pas arriver à rentrer dans des références.
Journaliste:
Comment on vit du coup tous les compliments entendus lors du Festival de Cannes ?
Tahar Rahim:
Cannes c'est un peu une bulle, riche en émotions. Ce n'est que du bonheur. Le tournage, lui, est d'une force incomparable.
Journaliste:
Comment êtes vous arrivé dans le cinéma ? C'était une vocation ?
Tahar Rahim:
Au début, quand j'avais 15 ans, j'en rêvais pour de mauvaises raisons. Pour un certain star-system. Puis, à force de voir des films, de m'engager dans une licence de ciné, j'ai fini par en connaître la surface. Enfin, j'ai pu jouer dans la série "La commune", ce qui m'a permis de comparer la pratique avec la théorie.