INTERVIEW
JE L'AIMAIS
Journaliste:
Il s'agit de votre troisième film. Avez-vous eu une pression supplémentaire du fait qu'il s'agissait d'une adaptation ?
Zabou Breitman:
Au théâtre je ne travaille pas sur mes propres textes, donc il n'y a pas eu de problème particulier. Je pourrais mettre en scène un scénario d'un autre, aller plus loin...
Journaliste:
C'est le principe de l'histoire dans l'histoire qui a retenu votre attention ?
Zabou Breitman:
Oui, c'est la situation de base, la narration. Cette façon que Pierre a de raconter, avec la fin au début, et ces nombreux aller-retour. Quelque pars une certaine tromperie vis à vis du spectateur. C'était un film de commande. Et j'ai lu le livre pour faire l'adaptation...
Journaliste:
Est-ce que c'est un sujet que vous auriez adapté au théâtre ?
Zabou Breitman:
Non, car je ne l'aurais pas choisi. Pourtant ça a été fait, en Belgique. J'avais refusé le projet au départ. Ca me paraissait trop classique. Mais j'ai finalement trouvé cela intéressant en creusant certaines situations. Il y a chez Anna Gavalda un style direct très posé. Elle sait décrire des situations.
Journaliste:
Comment avez-vous travaillé à l'adaptation du roman ?
Zabou Breitman:
Pierre je l'aimais beaucoup. Chloé, elle était plus difficile à cerner, car certainement très proche d'Anna Gavalda. Quant on lit le livre, Mathilde est finalement une vision de Chloé, son contraire: légère, belle, élégante... Et puis il y a beaucoup de silences dans le livre. Il fallait un temps qui passe, que lui se balade sur la planète. Et là intervient le rôle de l'image...
Journaliste:
On a parfois l'impression d'être en Asie...
Zabou Breitman:
Oui, dans les scènes de foules notamment. On a eu des discussions dès le premier jour, j'avais des points de vue différents de celui du cadreur. Par exemple, dans la foule à Hong Kong, on a discuté sur le fait de les voir ou pas. Lui voulait un plan cadré légèrement au dessus, ce qui ne me satisfaisait pas. Ca me gênait d'être loin. Du coup, on les suivait, c'était agréable.
Journaliste:
Ne pas s'éloigner des mots de la romancière, c'était pour vous important ?
Zabou Breitman:
On a pas eu peur de trahir les dialogues. Mais beaucoup de choses dans le texte étaient vraies, on les a reprises. D'autres ne me parlaient pas... comme par exemple la maladie de la secrétaire, le cancer, ça faisait trop.
Journaliste:
Une des scènes clés du film est celle où la maîtresse rédige la liste des choses qu'elle ne fera jamais avec lui. Vous l'avez tournée de dos. Est-ce un choix symbolique, parce que notamment ce sera bientôt la première fois qu'elle lui tournera le dos ?
Zabou Breitman:
Non, pas du tout. Je ne pense pas en ces termes, je n'ai nullement la volonté de signifier. Les analyses de texte restent libres. Vous savez, Nicolas Bedos a fait un commentaire de texte sur Sagan, avec Sagan, et il a eu 7 ou 8 sur 20. L'auteur n'est donc pas forcément la meilleure personne pour parler de son oeuvre. Là c'est lui qui regarde. Il est dans son regard, son angoisse, dans le subjectif total deux scènes avant...
Journaliste:
C'est la même chose pour le choix des interprètes ?
Zabou Breitman:
Oui, mais ça n'est pas uniquement de l'instinct. Il y a l'oreille aussi. Quand j'ai vue Marie José Croze en vraie, pas comme dans ses films, je ne l'ai presque pas reconnue. Florence m'a parue tout de suite sensible et délicate. Je me suis dit qu'elle pourrait aller très loin. Tandis qu'Auteuil, il m'a toujours bouleversée dans les rôles d'amoureux. Il est sublime de fragilité.
Journaliste:
Dans vos film, il y a un thème récurrent: la mémoire...
Zabou Breitman:
Peut-être que c'est ce qu'a pensé le producteur en me proposant le script. Je travaille en fait plus sur le souvenir. On se concentre souvent sur une des points particuliers: des couleurs, des mots, des détails... Il y a là l'intervention des sens.
Journaliste:
Vous semblez faire preuve de plus de liberté ou de réalisme dans le traitement avec ce film...
Zabou Breitman:
Je n'ai jamais pris tant de libertés, à part peut être dans « L'homme de sa vie », ou aussi avec les pieds d'Isabelle dans « Se souvenir des belles choses ». Ici c'est intégré complètement dans les liens entre passé et présent. Dans le principe même de narration...
Journaliste:
Au fond est-ce que ce n'est pas la relation extra-conjugale et cet amour impossible qui vous a interpelé ?
Zabou Breitman:
C'est un sujet qui a été rebattu et même rabâché. Il est presque banal, car c'est toujours la même histoire. Mais c'est toujours fort. Il ne s'agit pas seulement ici de « est-ce qu'on doit partir », mais plutôt de « est-ce que tu as été si bien aimée », et du coup de se question sur: doit-on accepter d'être mal aimé ? Tomber amoureux fait partie de la vie, la vraie question c'est le choix. Ici il ne choisit pas (vraiment). Il pense qu'on ne peut pas l'aimer. Il est persuadé qu'elle va le quitter. Il sait qu'il a raté des choses... On fond, j'ai aimé ici l'incarnation, la justesse des acteurs. Sur le jeu, ils sont tous formidables, jusqu'à la petite fille de 7 ans (au téléphone, quand elle engueule sa mère).