Pete Postlethwaite
Le 2 janvier 2011, alors que certains cinéphiles du monde entier se remettaient à peine de leur gueule de bois du réveillon, le cinéma britannique perdait un de ses meilleurs seconds couteaux : Pete Postlethwaite était emporté par un cancer à l’âge de 64 ans.
Pete était un de ces acteurs dont le grand public ne connaît guère le nom mais pour qui le visage est néanmoins familier. Il faut dire que pour le public français, son nom quasi imprononçable n’a pas aidé à faire de lui une star. Et on ne peut pas dire non plus qu’il avait un physique de jeune premier lui permettant de faire la une de la presse people ! Mais ce faciès si particulier, avec ses joues proéminentes et son regard pénétrant, est précisément un des éléments qui l’a rendu si indispensable au cinéma britannique. Un visage inoubliable qui le rendait tantôt sombre, tantôt touchant. Une véritable « tronche », comme on dit, qui lui permettait de jouer autant les hommes marqués par la dureté de leur vie que des personnages mystérieux et inquiétants.
On pourrait facilement tirer trois périodes de la carrière de Pete Postlethwaite. Né en 1946, très tôt attiré par les arts dramatiques, Pete Postlethwaite avait commencé par enseigner le théâtre avant d’exercer ses talents de comédien sur les planches du nord de l’Angleterre au sein de diverses troupes, jusqu’à intégrer la prestigieuse Royal Shakespeare Company. Dans les années 80, il enchaînait les rôles dans des productions télévisuelles britanniques.
Puis sa carrière cinématographique, jusque là discrète, prit de l’importance au tournant des années 90, d’abord en 1988 avec un des premiers rôles dans « Distant Voices, Still Lives », film de Terence Davies internationalement primé (mais resté inaperçu en France en dehors du Festival de Cannes), puis en 1992 avec des seconds rôles dans deux gros succès mondiaux : « Alien 3 » et « Le Dernier des Mohicans ». La consécration n’allait pas tarder puisque sortait l’année suivante « Au nom du père », monument du cinéma irlandais où il incarnait l’inoubliable Giuseppe Conlon, le fameux père du titre, aux côtés du non moins inoubliable Daniel Day-Lewis. Une nomination à l’Oscar 1994 du meilleur second rôle amplifiait l’impact de ce film sur sa carrière cinématographique.
En 1995, un rôle apparemment mineur marquait les esprits des cinéphiles du monde entier : Kobayashi, l’avocat japonais (oui, japonais ! preuve s’il en est de sa « caméléonitude ») du mystérieux Keyser Söze dans « Usual Suspects ». Avec l’ensemble de la distribution du film (Kevin Spacey en tête), Postlethwaite était alors distingué par un prix collectif de l’influent National Board of Review. En 1996, l’acteur britannique enchaînait avec le rôle du père Lawrence dans le « Romeo + Juliette » de Baz Luhrmann, une des voix off du film d’animation « James et la Pêche géante » et surtout l’incarnation de Danny, le mineur chef d’orchestre dans « Les Virtuoses ». Le titre français (« Brassed Off » en version originale) sonne comme un hommage à l’exceptionnelle et bouleversante performance de Postlethwaite dans cette anthologie du cinéma social anglais. S’il fallait ne retenir qu’un rôle dans la carrière de Postlethwaite, ce serait probablement celui-là, tant pour la qualité de sa performance que pour le lien symbolique que l’acteur entretenait avec ce type de personnages, puisqu’il était lui-même issu d’une famille ouvrière de l’ouest anglais. Pourtant, malgré ce premier rôle marquant, l’acteur n’a ni été primé (pas même une nomination aux BAFTA) ni obtenu d’autres rôles majeurs. Au contraire, sa carrière a continué à s’écrire essentiellement sous la forme d’une liste de rôles secondaires des deux côtés de l’Atlantique. Il a enchaîné les participations dans des blockbusters hollywoodiens, commençant par deux films de Spielberg en 1997 avec du « Monde Perdu » (la suite de « Jurassic Park », qui lui a valu une nomination aux Saturn Awards) et « Amistad », avec en prime des éloges de la part de Spielberg : « le meilleur acteur du monde », selon le cinéaste qui ne l’a pourtant pas engagé à nouveau par la suite. Durant les années 2000, suivirent notamment « Terre Neuve », « Dark Water », « The Constant Gardener », « La Malédiction », ou plus récemment « Le Choc des Titans » et « Inception ». C’est essentiellement dans des productions plus discrètes voire intimistes qu’il obtenait des rôles plus importants, notamment dans « Les Géants » (1998), film anglais malheureusement trop méconnu, où il jouait à nouveau un émouvant personnage issu de la classe ouvrière.
En parallèle du cinéma, Postlethwaite continuait aussi sa carrière télévisuelle (obtenant 3 nominations aux British Acadamy Television Awards) et théâtrale (avec notamment des solos à succès : « Scaramouche » et « King Lear »), il était honoré comme officier par l’Ordre de l’Empire britannique en 2004, et il militait ardemment pour la cause environnementale. C’est dans cet esprit-là qu’il avait participé en 2009 au documentaire « L’Âge de la stupidité », où il jouait un archiviste fictif de 2055 qui se demande pourquoi les hommes n’ont rien fait pour lutter contre le changement climatique.
Un acteur complet, donc, qui manquera cruellement au cinéma anglo-saxon. Outre une replongée dans sa filmographie, trois occasions permettront de profiter encore de Pete Postlethewaite en 2011 : au cinéma avec la sortie de « Killing Bono », comédie britannique autour du groupe U2, à la télévision avec la 64ème cérémonie des BAFTA où l’on peut lui souhaiter une récompense posthume pour son rôle dans « The Town » (mais il n’est pas favori), et enfin en librairie avec la parution à venir de son autobiographie, « A Spectacle of Dust » (dont aucune traduction française n’est malheureusement prévue pour l’instant).
Raphaël Jullien Envoyer un message au rédacteur