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LA TISSEUSE

Un film de Wang Quan'An

Une lueur dans la nuit

La vie de Lily, une jeune Chinoise de caractère, travaillant dans une usine de tissu, est bouleversée lorsqu’elle apprend qu’elle est touchée par une grave maladie. Mariée sans passion à un brave homme ayant perdu son emploi, mère d’un petit garçon, elle décide de s’éloigner pendant quelques jours pour trouver des réponses aux questions qui lui pèsent...

Le film s’ouvre par un impressionnant plan sur des centaines de machines à tisser alignées dans un hangar bruyant. On peut alors présumer que le 4ème film de Wang Quan’an sera une énième peinture sociale du milieu ouvrier contemporain, ici marqué par un étrange paradoxe, puisqu’il est à la fois ancré dans un héritage soviétique absurde (les ouvriers chantent en chorale des airs bolchéviques) et frappé de plein fouet par la crise (l’usine de Lily licencie). Néanmoins, il serait dommage de se limiter à la dimension ultra-réaliste du film. Dans ce fameux plan d’ouverture, l’attitude révoltée de Lily, traversant furieusement les centaines de machines à tisser, présage un personnage héroïque et flamboyant, dont l’esprit passionné tranchera pendant tout le film avec l’austérité de son monde.

Bien que le pitch se prête au pathos, du film se dégage une étrange froideur. Frappée de plein fouet par un drame, Lily regarde dans le vide, muette. Et même lorsqu’elle pleure, c’est en étouffant ses sanglots, comme si elle ne s’autorisait pas la moindre lamentation. Une retenue persistante qui donne lieu à quelques longueurs (on aimerait presque s’émouvoir un peu plus). Heureusement, le film reprend du souffle lorsque Lily accepte de suivre une amie au Phénix, un dancing sous chapiteau. Là, les femmes de l’usine (même les plus âgées) attendent de se faire inviter à danser par des inconnus en échange de quelques yuans. Un moyen pour ces femmes de passer un peu de bon temps tout en arrondissant leurs fins de mois. Or s'il constitue le théâtre kitsch d'un monde un brin pathétique, le Phénix est en fait l’antichambre de la liberté, le déclic qui pousse Lily à rattraper le temps perdu.

Dès lors, le film frôle la grâce. A la beauté de la mise en scène, qui intensifie chaque attente ou geste anodin, et des cadrages, qui font de certaines scène un véritable tableau, répond la présence magnifique de l’actrice, décidément taillée pour la caméra de Wang Quan’an (c’est leur quatrième collaboration). Le film prend d’ailleurs une dimension poétique insoupçonnée, introduisant décalage et légèreté quand l’heure devient grave. Cela donne lieu à des scènes enveloppantes où l’on sent le bonheur proche (joli moment où tous les couples du village traversent ensemble à vélo le paysage enneigé), des séquences d’une douceur et d’une sérénité dévastatrices (le sourire de Lily sur son lit d’hôpital) et des scènes où l’on sent la vie et l’espoir renaître quand on s’y attend le moins. Un joli moment de cinéma, qui confirme que Wang Quan’an a tout d’un grand.

Sylvia GrandgirardEnvoyer un message au rédacteur

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