LES FEMMES DE MES AMIS
Made in Hong
Ku Kyung-nam est un cinéaste coréen d’art et essai qui ne connaît pas vraiment le succès. Lorsqu’un petit festival de cinéma le sollicite pour devenir membre du jury, il accepte : et si il rencontrait quelqu’un ? Après tout, il n’a rien d’autre à faire. Les soirées de beuverie qui suivent les journées de projection lui permettent de faire la connaissance des autres festivaliers, et notamment d’une femme, visiblement très attirée par lui. L’ennui est qu’elle est mariée à un homme de la tablée. Pour Ku, c’est le début des ennuis…
Reprenant les codes qu’il développe inlassablement de film en film (l’artiste looser, le trio amoureux, la réminiscence, l’obsession du sexe et, bien sûr, la catharsis par l’alcool), Hong Sang-soo délivre un film qui pourrait être le dernier de sa carrière. En effet, “Les femmes de mes amis” est à la fois un autoportrait (Hong Sang-soo n’a jamais caché sa passion pour le saké), un genre d’hommage à ses précédents films (cf. les scènes de plage façon “Woman on the beach”, la structure en deux chapitres de “Turning gate” ou tout simplement la reprise de la musique de sa précédente trilogie) et un clin d’oeil à l’univers des festivals, sur lequel il porte un regard tendre et amusé (le héros s’endort systématiquement à chaque projection). Certains s’agaceront de se voir toujours servir la même soupe, d’autres apprécieront de retrouver cet univers unique à l’humour si particulier, devenu en moins de dix films la marque de fabrique du cinéaste.
Vu sous cet angle, le film atteint des sommets. Il pousse même encore plus loin l’ironie habituelle, en contredisant la forme et le fond - ce sont dans les plans fixes que les événements basculent tout doucement vers l’absurde - ou en surdimensionnant les réactions des personnages, marionnettes trop calmes ou trop hystériques (surtout quand il s’agit des femmes) au regard des situations. Dans le même esprit, il ne lésine pas sur les images allégoriques et décalées pour souligner l’irrationalité des rapports amoureux, quitte à s’appesantir. Ainsi, ce simple gros plan sur une chenille rampant nonchalamment aux pieds de deux amants, qui viennent de se disputer, remet l’humain à sa place et souligne son absurde complexité.
Un peu trop long et binaire, “Les femmes de mes amis” n’est pas le meilleur film de Hong Sang-soo. Il demeure néanmoins une œuvre plaisante, mue par un sens constant de la dérision. L’art est gentiment désacralisé, les artistes en prennent pour leur grade et leurs admirateurs aussi. Surtout, la mise en abîme permanente du cinéaste, que l’on soupçonne - à l’écran comme dans la vraie vie - de ne savoir faire que des films sur sa vie personnelle, apporte ce qu’il faut de second degré en plus. “Vous n’allez tout de même pas faire un film de tout ça ?”, s’entend dire le protagoniste à la fin du film. Cette phrase de conclusion, hilarante après plus de deux heures de film, en dit long sur le goût du cinéaste pour l’autodérision.
Sylvia GrandgirardEnvoyer un message au rédacteur