L'ÎLE DE GIOVANNI
Triste et beau
Dès les premières images de ce dessin animé japonais souffle un vent de liberté et de courage qui caractérisera l'ensemble de cette histoire d'une île et de ses habitants, confrontés à l'invasion soviétique, au lendemain de la guerre. Dans une courte introduction, Junpei, âgé, embarqué sur un ferry, voit au loin s'approcher l'île de son enfance sur laquelle il n'est jamais retourné, lumineuse, entourée de flots d'un bleu pénétrant. Puis vient le flash-back, sa voix d'adulte se transforme en voix d'enfant, pour mieux nous conter des jours heureux et sombres, desquels seuls les enfants savent inconsciemment tirer le meilleur.
Et en guise d'ouverture, c'est à des jeux d'enfants que nous convie l'auteur, montrant d'emblée la complicité des deux frères, grimpant sur des falaises pour récupérer des œufs de macareux, les jetant à la mer, pour mieux les récupérer ensuite en plongeant. À cette insouciance initiale succédera bien vite le désespoir et la peur d'un peuple vaincu, confronté à un envahisseur qui ne parle pas la langue (les personnages soviétiques sont doublés en russe...). Relatée au travers des yeux d'un enfant, cette sombre histoire d'occupation puis d'exil (après deux ans de cohabitation sur les îles Kouriles, les ressortissants japonais furent envoyés à Sakhaline puis rapatriés au Japon) revêt un espoir de communication (le contact avec la jeune Tania) et des aspects d'autant plus héroïques (le trafic de riz organisé par le père, le périple dans la neige pour retrouver celui-ci...).
Pour donner corps à cette triste page de l'histoire, Mizuho Nishikubo nous propose une animation aux trait simple et fluide, sur fond de décors finement travaillés signés de l'argentin Santiago Montiel, comme peignés de coups de pinceaux dans différentes direction pour leur donner plus de texture, dans lesquels le ciel et les nuages épineux revêtent une importance certaine. Navigant entre couleur, sépia et passages bleutés pour les rêves ou moments d'imagination liés au fameux « Train de nuit dans la voie lactée », ouvrage qui aurait inspiré les prénoms des enfants, la mise en scène offre quelques scènes simplement magnifiques, telles le montage de la maquette de train et les premiers essais sur les rails d'une pièce à l'autre, le rêve du train de la voie lactée (contours blanc sur fond bleu...) où le conducteur refuse de laisser monter l'enfant, celui-ci laissant alors échapper un profond cri de détresse, ou encore les retrouvailles avec le père, emprisonné...).
Sans dévoiler plus d0une intrigue à la fois historique et enfantine, on peut cependant affirmer que « L'île de Giovanni » est non seulement une vraie réussite artistique, mais également un véritable tire-larme, à rapprocher du « Tombeau des lucioles » de Takahata. Une belle échappée dans une île enchanteresse et lumineuse, une plongée dans un passé sombre et douloureux, tout autant qu'une hymne à la réconciliation entre deux peuples, portée par trois personnages aux portes de la vie, et pour deux d'entre eux, aux portes de l'amour. À ne surtout pas rater.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur