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Le goût de l’autre

Jitze est un gamer professionnel néerlandais, de caractère froid et imperturbable, qui se rend à Taipei pour participer à un championnat par équipe. En séjour pendant plusieurs jours, il remarque une belle jeune femme taïwanaise qu’il pense être une prostituée dédiée aux clients de son hôtel. Puis un matin, il est spectateur d’un terrible accident de la route qui, bien que sanglant, le laisse impassible. Or à partir de ce jour, pour Jitze, tout ne sera jamais plus comme avant...

Les films hollandais présentés à Cannes sont assez rares. C’est bien dommage, car le jeune David Verbeek, qui en est pourtant aux balbutiements de sa carrière, délivre ici un film à la fois intéressant et esthétique.

Très en vogue auprès des passionnés de jeux vidéo, mais assez en marge des loisirs grands publics, le jeu en réseau n’est pas né d’hier. Les tournois, grands rassemblements de fanatiques à l’échelle internationale, ont souvent lieu en Asie et se déroulent dans une ambiance presque religieuse, en parfait contraste avec la nature violente des jeux-mêmes. En tentant une percée dans cet univers surréaliste, Verbeek insuffle donc d’emblée à son film une atmosphère un peu planante, qui ne le quittera pas.

Le personnage de Jitze, troublant de silence, vient renforcer cette sensation de déconnexion : à la ferveur de la compétition s’oppose le silence et le calme du jeune champion, véritable killeur de la profession, que rien n’ébranle ni n’émeut. Seul dans sa chambre d’hôtel, au sommet d’une tour surplombant la capitale taïwanaise, il n’est pas sans rappeler la jeune Charlotte, alias Scarlett Johansson, de “Lost in translation”.

Or l’intérêt du film ne se révèle vraiment qu’au bout d’une demi-heure, lorsque l’on comprend que l’univers des gamers n’est pas le coeur de l’histoire, mais plutôt l’élément qui conditionne le parcours initiatique de son héros. Aux prises avec les réalités de Taipei, Jitze abandonne peu à peu son royaume virtuel pour un monde dont il n’est pas le roi : celui des choses simples et réelles, de la découverte de soi et des autres, du départ vers l’inconnu. Verbeek file la métaphore avec finesse, alimentant sans cesse l’ambiance onirique du film. On peut cependant déplorer un excès de contemplation et une succession un peu confuse de situations (notamment les incursions sur Second Life, qui s’éternisent quelque peu), donnant lieu à quelques longueurs en milieu de métrage.

Le film n’en demeure pas moins réussi, tant sur la forme que sur la réflexion qu’il inspire. Un bel espoir pour le cinéma contemporain hollandais, encore assez méconnu en France.

Sylvia GrandgirardEnvoyer un message au rédacteur

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