VIE SAUVAGE
Raconter une histoire singulière et touchante d’enlèvement sans recourir au manichéisme ? Yes, he Kahn !
« L’affaire Fortin » fait partie de ces faits divers grandement médiatisés appartenant à la mémoire collective. Et au vu du déroulé de cette cavale, il n’est pas étonnant que le Cinéma se soit intéressé à un tel parcours, l’essence de cette histoire étant un parfait matériau originel pour un scénario. Xavier Fortin, devenu Paco dans cette adaptation, était un père de famille aimant qui ne pouvait accepter de ne pas côtoyer ses enfants au quotidien, de les voir grandir dans un monde matérialiste et consumériste, profondément pourri par le capitalisme.
Le film débute alors brutalement, sur des cris et des disputes. Le spectateur est perdu, avant de comprendre le drame familial qui se joue devant ses yeux. Car ce père aux tendances hippies va enlever ses deux fils pour ne jamais les ramener. D’abris de fortune en squats, de caravanes en cabanes dans la forêt, ils vont parcourir la France durant 11 ans. Et le film de se transformer en récit d’aventure, une sorte de « Robinson Crusoé » des années 2000. Avec une précision chirurgicale et un sens pointu du détail, Cédric Kahn parvient à capturer les différentes difficultés qu’implique un mode de vie aussi marginal et trivial, s’attardant sur les petits gestes sans tomber dans une démonstration du « camping pour les nuls ».
Mais surtout, le réalisateur dépeint sa chronique naturaliste sans aucun jugement, ne cherchant pas à blâmer ce père qui semble avant tout agir par amour. Si son modèle éducatif est évidemment contestable, le réalisateur nous laisse libres juges, notamment par des dialogues extrêmement bien ficelés qui ne transforment pas les idéaux politiques et sociétaux en un discours de propagande. Car derrière les mots, on sent cette affection d’un père pour sa progéniture qu’il veut préserver de la société et de ses nombreux vices. Mais par sa maîtrise parfaite de la dramaturgie, le metteur en scène n’oublie pas d’évoquer le calvaire enduré par cette mère privée de ses enfants.
Lumineux et d’une puissance émotionnelle transcendante, « Vie sauvage » est une œuvre humaniste comme on n'en fait plus aujourd’hui, l'équilibre parfait entre une réflexion aussi philosophique que psychologique sur notre société et une ambition cinématographique folle. Car tout en ouvrant de multiples pistes, le film reste toujours à hauteur de ses personnages, conservant ce regard bienveillant sur chacun, et ce, quels que soient leurs agissements. Si le sujet était fort, Cédric Khan parvient à magnifier son récit en retenant la quintessence de son cinéma, un cinéma en permanence sur la corde raide qui évoque les faits âprement, sans sentimentalisme. Mais si le métrage est d’une telle intensité, c’est également en grande partie grâce à la prestation épatante des comédiens, Mathieu Kassovitz n’ayant pas montré de telles qualités depuis bien longtemps. Aussi rythmée qu’intelligente, cette épopée judiciaire a trouvé une bien belle transcription à l’écran… La palme de Kahn !
Christophe BrangéEnvoyer un message au rédacteur