PERFECT MOTHERS
Belles mères, beaux fils
Lil et Roz sont deux amies d’enfance qui vivent non loin l’une de l’autre sur la côte australienne. Elles vont à la plage ensemble, se sont mariées au même âge et ont eu chacune un fils la même année. Lil est veuve depuis de nombreuses années quand le mari de Roz obtient une promotion dans son travail, ce qui l’obligerait à quitter la région. Il décide d’accepter et propose à sa femme de le rejoindre rapidement…
Dans cette co-production franco-australienne, Anne Fontaine nous plonge littéralement dans un film baigné d’océan et de soleil où deux mères, la quarantaine épanouie, font face à leur fierté : leur fils respectif qu’elles ont chacune eu quand elles avaient 20 ans. « C’est nous qui avons fait ces jeunes dieux », disent-elles au début au film, en admirant la jeunesse éclatante et le corps athlétique de leur progéniture de 20 ans. Elles sont loin d’imaginer, à ce moment-là, qu’elles vont commettre l’impensable… et pourtant ! Anne Fontaine livre un film passionné sur des amours passionnelles et très ambiguës. Dès le début, la réalisatrice nous perd dans un flou artistique qui nous interroge sur les relations qui unissent les différents personnages… Ces deux mères sont-elles lesbiennes ? Ces surfeurs sont-ils amants ? La question de la sexualité et du désir s’installe rapidement pour ne plus lâcher le spectateur.
Et ce n’est finalement pas à une double histoire d’amour que le film nous fait croire mais à une triple. Si le personnage de Lil, veuve depuis de nombreuses années, fuie les relations amoureuses, n’est-ce pas parce qu’elle se sent irrémédiablement unie à Roz, son amie d’enfance ? Unie au-delà de l’amitié ? Si les deux mères cèdent à la tentation, n’est-ce pas, pour elles, le moyen de transposer avec les fils (qui ressemblent physiquement à leur mère) une relation qu’elles n’assument pas de vivre physiquement entre elles ? Mais l’ambiguïté réside aussi du côté des garçons. Car si on constate que Ian, le blondinet, éprouve un amour intense et sincère pour Roz, qu’en est-il de Tom ? Ce dernier est-il honnête avec ses sentiments ? On pourrait voir en effet dans son passage à l’acte une simple reproduction du schéma de son ami. Et n’est-il pas celui qui, après une rude bataille avec Ian, va le soigner affectueusement après l’avoir blessé ? "Perfect mothers", c’est aussi cela : une homosexualité latente durant tout le métrage.
Et quelle française pouvait bien mettre en scène une telle histoire, si ce n’est Anne Fontaine ? La réalisatrice de "Coco avant Chanel" et "La fille de Monaco" s’est en effet forgée une sacrée réputation sur les amours ambiguës et voraces avec des films comme "Nettoyage à sec", "Nathalie" ou encore "Entre ses mains". Elle arrive ici à nous bluffer dans le discours et le malaise provoqué par son film car il est constamment adouci par la justesse des sentiments. Pour camper ses personnages, le casting révèle (s’il en était besoin) deux grandes comédiennes : Naomi Watts et Robin Wright, parfaites sœurs jumelles, fusionnelles et aux caractères bien distincts. Les jeunes, Xavier Samuel (vu dans le troisième "Twilight") et James Frecheville (l’ado de "Animal Kingdom"), s’affirment également dans leurs premiers grands rôles.
La qualité de l’adaptation de la nouvelle de Doris Lessing The Grandmothers n’est pas sans rappeler celle du Secret de Brockeback Mountain d’Annie Proulx dont l’histoire tourne également autour d’une passion dévorante et destructrice, et qui avait été merveilleusement adaptée par Larry McMurtry et Diana Ossana. Anne Fontaine et Christopher Hampton ont, à l’instar du film d’Ang Lee, parfaitement rendu plausible cette histoire d’amour, déjà forte sur le papier et qui le devient plus encore à l’écran, en mettant en scène des personnages tiraillés de toute part, notamment par la société, le temps qui coure, le désir refoulé, le mensonge ou la jalousie…
Néanmoins, le spectateur pourra trouver quelques faiblesses scénaristiques concernant le développement de l’histoire, le manque flagrant de maquillage sur les comédiennes sensées vieillir, le Beau ambiant un peu pompeux du film, mais il demeure une aura jamais lourde (on flotte constamment), jamais sordide (loin d’un Christophe Honoré) ou perverse (comme chez un François Ozon). "Perfect mothers" navigue entre paradis et enfer, un doux et douloureux entre deux.
Mathieu PayanEnvoyer un message au rédacteur