A SINGLE MAN
Une esthétique harmonieuse entre “The Hours” et “In the mood for love »
Tom Ford, grand couturier reconnu (il a notamment rendu ses lettres de noblesse à la marque Gucci), passe derrière la caméra et met de côté le style porno chic de l’ensemble des publicités qu’il a imposé dans l’univers de la mode. Avec « A single man », on est très loin du tape-à-l’oeil et de l’agressif. Au contraire, Tom Ford colle au style de l’époque à laquelle se déroule l’histoire. Ainsi, il nous offre un film délicat, à l’esthétique glamour et millimétrée de la way of life des années 60. Costume parfait et chaussures cirées pour George-Colin Firth, brushing gonflé et robe raffinée pour Charley-Julianne Moore : tout est là, y compris les magnifiques décors de Dan Bishop.
Baignant dans cette atmosphère surfaite, George se sent étouffer depuis que son compagnon Jim est décédé dans un accident de la route. L’histoire débute ainsi par cette terrible scène où George apprend par téléphone que son ami est mort et qu’il n’est pas convié aux obsèques. Très froidement, il acquiesce à tout ce qu’on lui dit, alors qu’il vient d’apprendre la plus tragique des nouvelles. C’est une fois le téléphone raccroché que l’homme s’effondre désespéré. Huit mois plus tard, George a une mine de déterré, il n’arrive pas à relever la tête hors de l’eau. Il le cauchemarde d’ailleurs fréquemment, se voyant se noyer dans un océan sombre et profond. George n’en peut plus et, un matin, il décide que cette journée sera sa dernière. Au programme : café et brioche congelée, cour à l’université, passage chez l’armurier, repas avec sa meilleure amie Charley puis suicide sur l’oreiller.
Pour cette chronique d’une mort annoncée, Tom Ford réalise un film beau, élégant, sensible et esthétisant avec un supplément d’âme. Il suit avec sa caméra un homme à contre-courant d’une foule, comme pour marquer sa différence. Il ajoute la musique de Shigeru Umebayashi sur des plans ralentis qui renvoient directement aux films de Wong-Kar Waï sur lesquels il avait auparavant travaillé (« In the mood for love » ou « 2046 »). Il offre à Colin Firth un rôle extraordinaire, très complexe, d’un homme qui semble facilement tisser des liens avec son entourage (amis, voisins, élèves, mais aussi inconnus) et à qui il se confie paradoxalement très peu, gardant une énorme part de mystère, en étant très intérieur et tout en retenue. Il fait un pont avec « The hours », le film de Stephen Daldry, en donnant le rôle de Charley à Julianne Moore qui y tenait déjà un rôle fort, éprouvant. Celui d’une femme confrontée à son homosexualité et qui voulait en finir avec la vie. Un élément, plus particulièrement, rapproche les deux œuvres : l’eau ; celle qui submerge Julianne dans « The hours » et Colin Firth dans « A sigle man ». L’eau, le poids de la société qui vous bloque et vous empêche d’avancer, vous prive d’avenir.
Le comédien anglais est tout simplement magnifique dans ce rôle et n’a pas volé ses prix d’interprétation au Festival de Venise 2009 et aux Bafta 2010. Son chic anglais est poussé à l’extrême, de ses tenues à son accent appuyé. Julianne Moore est comme d’habitude exceptionnelle, même dans un rôle secondaire qu’elle sait comme personne mettre en valeur. Pourtant, le film n’est pas parfait. La faute peut-être au scénario qui reste malheureusement trop en surface de ce qu’il évoque ou dénonce. « A single » a beau être un harmonieux mélange de « The hours » et de « In the mood for love », il aurait mérité d’être aussi dense et aussi fort que ces films, et de les rejoindre dans le cercle fermé des chefs d’œuvre cousus de fil d’or.
Mathieu PayanEnvoyer un message au rédacteur