UPSIDE DOWN
Une puissante parabole au service d'une sublime histoire d'amour
Pas de doute, l'intriguant "Upside Down" sera l'un des événements de ce printemps. Le voyage dans cet univers étrange, dans lequel deux planètes sont irrémédiablement liées, vaut en effet le détour, ne serait-ce que des points de vue graphiques et conceptuels. Car la création de Juan Solanas ("Nordeste", et prix du jury du court-métrage au festival de Cannes en 2003 pour "L'Homme sans tête") s'avère visuellement sublime de bout en bout, imprimant la rétine à chaque plan, par des décors certes générés par ordinateur, mais dont la puissance évocatrice marque l'imagination. Mais aussi parce que les principes de base de séparation entre ces deux mondes, l'un immensément riche et prospère, l'autre délabré et pauvre, interpellent forcément, entrant en collision avec une évolution de notre propre monde, où les pays du tiers monde produisent les richesses des nations occidentales, où les pays du sud sont exploités par ceux du nord, où un système profite aux plus riches, en paupérisant et contrôlant les plus faibles, tout en leur faisant miroiter la possibilité d'une ascension sociale pourtant impossible.
Ce thriller romantique, puisque principalement centré sur la relation d'amour impossible entre un homme et une femme, a quelque chose du "Brazil" de Terry Gilliam (pour l'approche d'un monde entièrement sous contrôle), de "Bienvenue à Gattaca" (pour la tentative d'intrusion dans un monde qui nous est interdit) et de "The Island" de Michael Bay (pour les faux espoirs donnés aux gens), réduisant les humains à de simples serviteurs de cyniques employeurs qui jouent du bâton et de la carotte, sans aucun scrupule. Le double open-space, gigantesque espace de travail permettant un dialogue entre employés des deux mondes, finalement exploités à la même enseigne, en est le symbole glacé le plus frappant. L'annonce des élus qui recevront des primes, précédée par l'annonce des licenciements qui vont de paire, est aussi une trouvaille significative, parabole subtile sur les sacrifices demandés de nos jours aux citoyens, pour sauver un système qui récompensent toujours les mêmes, y compris ceux qui commettent les erreurs.
"Upside Down" (au titre fortement significatif quant à l'état de notre monde) met aussi en toile de fond de son intrigue, la fameuse crème que tente de créer le jeune homme, et qui aurait le pouvoir de redresser tous les tissus et donc de faire disparaître les traces de la vieillesse. Le scénario s'attaque ainsi à la seule chose que les riches ne peuvent pas s'acheter : l'éternelle jeunesse. Cyniquement, il fait en sorte que sa publicité soit lancée partout en ville, avant même sa fabrication en série, révélant ainsi les tendances voraces d'un capitalisme avide de nouveauté et de résultats instantanés. Mais le film n'est pas seulement bardé de symboles négatifs, le plus réussit étant celui que constituent ces deux montagnes opposées sur lesquelles les deux amoureux se sont rencontrés : une image de complétude entre l'homme et la femme.
Le spectateur ressortira du film avec de puissantes images plein la tête, qu'il s'agisse du sublime restaurant « entre deux mondes » dans lequel les amants se retrouvent, lui usurpant l'identité d'un employé licencié, ou des modes de passage d'un monde à l'autre, expérimenté par le jeune hors la loi. Séparés par un accident, puis une amnésie, poursuivis par des forces de l'ordre qui n'ont qu'une mission (que rien ne change), nos deux amants nous font croire à leur idylle maudite, et le cœur du spectateur palpite pour le couple Jim Sturgess (formidable d'élan réprimé) et Kirsten Dunst (fragile en diable dans son ignorance de son passé). Alors sans hésitation, embarquez avec eux pour ce voyage aux confins de notre propre monde, dont vous ressortirez le cœur amoureux et des images plein les yeux.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur