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LE FILS DU MARCHAND D'OLIVES

Négationnisme d’État

Quelques temps après avoir épousé Anne, une jeune femme polonaise, Mathieu Zeitindjioglou se laisse convaincre et se retrouve embarqué en voyage de noces en Turquie, à la recherche de ses racines arméniennes…

Comment vivre avec un nom transformé par l'oppresseur alors que sa famille a dû abandonner ses racines. Le voyage auquel nous invitent Mathieu Zeitindjioglou (derrière la caméra la plupart du temps) et Anna, sa femme (trublion un rien provocateur devant l'objectif) est fait d'oubli et de négation. Un oubli organisé par un État aux portes de l'Europe, géographique comme politique, qui a enseigné à ses enfants, depuis plusieurs générations, la négation d'un génocide.

Car au cœur de ce trip touristique et culturel réside une question. Pourquoi l’État turc continue-t-il à nier le génocide de 1915 de près de 1,5 millions d'Arménien, en pleine première guerre mondiale ? Un génocide qui aura coûté la vie aux deux tiers de la population de cette minorité. Ébahis, on découvre non seulement des contrées dévastées, où des villages entiers ont été rayés de la carte pour être reconstruits un peu plus loin, mais aussi des musées où des sections, devenues discrètes depuis les velléités de la Turquie d'entrer dans l'Union européenne, sont consacrées à la négation du génocide, réécrivant allègrement l'Histoire en faisant passer les résistants pour les agresseurs.

Mais finalement plus que la balade dans une Turquie où les jeunes générations ne savent rien, persuadées que les Arméniens firent bien pire, du fait d'un enseignement officiel très orienté, ce sont les passages en France, les interviews et le conte animé qui rythme le film qui amènent le plus d'enseignements, voire d'émotion. Ainsi le discours de BHL (Bernard Henri-Levy) – un enregistrement sur fond d'ombres chinoises - apporte certainement les affirmations les plus cinglantes. Il se demande à juste titre ce qui se serait passé pour le peuple juif s'il avait eu en face de lui une Allemagne forte et négationniste au lendemainde la guerre ? Il affirme avec raison, qu'au fond le négationnisme est la pire des choses, tentant d'achever un crime parfait, sans traces, ni géographiques, ni ethniques...

L'effarante vérité, bien que très partiellement démontrable aujourd'hui, puisque peu de témoignages ou de traces sont encore accessibles, surgit cependant de ce documentaire, notamment au travers du fameux DVD pédagogique envoyé par le directeur du musée, expliquant les déportations vers le désert, justifiant les morts et relatant une agression inversée. Le poids de la religion dans un pays où il ne fait pas bon afficher sa foi autre que musulmane, ni même son athéisme, est parfaitement retranscrit. Et ce dessin animé qui ponctue le film, parabole entre une peau de loup revêtu et la transformation du nom du réalisateur, qui permit à la famille du réalisateur d'échapper aux massacres avant d'immigrer en France (Zeitounjian, devenu Zeitindjioglou, signifie dans les deux langues « Le fils du marchand d'olives »), permet de poser les bases du paradoxe vécu par les déracinés : l'impossibilité de retrouver ses racines, l'impossibilité de se débarrasser de la marque d'un ennemi que des décennies de désinformation on transformé en ignorant de ses propres crimes.

En ces jours où les politiques, droitisant leurs discours, usent de toute leur hypocrisie, remettant en cause la tradition de terre d'accueil de la France, coupant les crédits des administrations pour mieux stigmatiser leur incapacité à agir et réduire au final leurs effectifs, ce genre de documentaire est là pour rappeler devoir de mémoire comme de militantisme. Comme pour tuer son chien, on dit qu'il a la rage, l'Histoire de l'Arménie continue ainsi d'être reniée, le but restant au final l'élimination de toute trace d'un peuple, histoire de ne pas remettre en cause, ni une position politique passéiste, ni un tracé de frontières, encore moins la dignité d'anciens dirigeants infâmes.

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

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