LIBERAMI
Une plongée hallucinante dans l'exorcisme d'aujourd'hui
Présenté à la Mostra de Venise 2016, d'où il est reparti avec le prix du meilleur film (section Orrizzonti), "Liberami" s'intéresse à la pratique de l'exorcisme par l’Église catholique. La réalisatrice italienne, anthropologue de formation, y suit de près l'activité du père Cataldo, que des dizaines d'individus et familles possédés par Satan sollicitent au quotidien. En bon exorciste digne du célèbre film de William Friedkin, le père Cataldo traite ses "patients" par des messes collectives hautes en couleur, des incantations téléphoniques, des corps à corps musclés… De quoi pouffer de rire dès les premières minutes, et ce régulièrement tout au long du métrage. Mais ne vous méprenez pas : il ne s'agit pas là d'un docu-fiction, monté de toutes pièces pour se moquer des fidèles et dénoncer les dérives de l’Église. Tout est bien réel, montré sans fards ni artifices. Et les chiffres présentés. en guise de conclusion indiquant le nombre de prêtres formés chaque année à ces pratiques, n'ont rien d'exagéré.
Il faut dire que le père Cataldo, véritable star locale, est un sacrément bon client. Charismatique et grandiloquent, fonctionnant tel un chef d'entreprise over-booké, il ne donne pas dans la demi-mesure lorsqu'il s'agit de faire sortir le diable de l'esprit d'une adolescente ou de libérer une femme de ses pulsions sexuelles malsaines. En découlent des scènes stupéfiantes à base de grognements d'animaux, d'yeux révulsés et de gesticulations démentielles, qui amusent autant qu'elles fascinent. On est également surpris de constater que ce prêtre exorciste, que l'on classerait volontiers parmi les illuminés ou les charlatans, dispose d'une conscience professionnelle comparable à celle d'un vrai praticien. Ainsi, lorsqu'il est sollicité par un couple de parents inquiet du comportement turbulent de leur enfant, il fait preuve d'un étonnant discernement en pointant un défaut d'éducation plutôt qu'une présence démoniaque. Une scène édifiante qui, mine de rien, souligne à quel point la montée en puissance des croyances les plus folles est avant tout une affaire de désengagement et de dé-responsabilisation individuels.
Naviguant dans les profondeurs de son sujet avec dextérité, Federica di Giacomo effectue un admirable travail d'infiltration qui lui permet de capter des images rares, qu'elles soient intimistes ou spectaculaires. Elle adopte une posture discrète, met sa caméra en retrait et laisse ses personnages évoluer en roue libre, permettant ainsi à l'absurdité de s'exprimer d'elle-même. Le résultat à l'écran est aussi drôle que terrifiant.
Sylvia GrandgirardEnvoyer un message au rédacteur