LA VIE MODERNE
Chronique d’une campagne oubliée
“L’approche”, le premier film portait bien son nom car c’est avec pudeur et délicatesse que le cinéaste a rencontré ces agriculteurs. à force de patience, il a réussit à se faire inviter dans leurs cuisines. Quelques questions toutes simples sur le temps, les bêtes, la famille nous révèlent au fil des années, la vie toute particulière de ces hommes et ces femmes. Dans ce dernier opus de sa série documentaire, la caméra de Raymond Depardon est à présent familière, la timidité disparaît, les langues se délient.
Un enterrement reliait le premier et deuxième volet, Raymond Depardon espérait un mariage pour débuter “la vie moderne”. Le voilà exaucé, Alain l’exploitant des Cevennes s’est marié. Ses oncles, Marcel et Raymond, octogénaires célibataires et d’ordinaire si discrets se laissent aller à quelques piques à l’intention de la nouvelle venue. “Ce n’est pas qu’elle ne parle pas l’Occitan, maintenant de plus en plus de gens parlent français. C’est plutôt qu’elle n’est pas cévenole !”
Le problème paysan est avant tout générationnel. Les anciens voient leur forces diminuer autant que leur troupeaux, et rares sont les enfants ou les neveux prêts à reprendre la ferme. Certains prétendent être passionnés, mais beaucoup n’ont pas vraiment eu le choix. C’est le cas de Daniel; des six enfants de la famille, il est le seul à être resté dans l’exploitation familiale. Perché sur son tracteur, il répond en souriant aux questions de Depardon, mais sa gêne est palpable. Entre plusieurs silences il avoue, troublé, n’avoir jamais aimé travailler à la ferme; mais que faire d’autre ?
Et c’est là, la grande qualité de Depardon, laisser parler les silences, ne pas enchaîner les questions afin de capter les attitudes, les regards. C’est avec talent qu’il capture des moments vrais et pleins d’humanité : le clin d’œil complice de Nathalie pour son fils, alors hors champ, la bienveillance de Germaine qui s’inquiète pour le cadreur dont le café refroidit, Daniel qui taquine le chien et manque de se faire mordre, une larme qui coule sur la joue de Marcel.
Avec “La vie moderne”, Raymond Depardon conclut ainsi admirablement son méticuleux portrait d’une société paysanne à présent marginale. Ce documentaire est avant tout un film touchant et délicat à découvrir absolument.
Gaëlle BouchéEnvoyer un message au rédacteur